Jean-Baptiste Eyraud : « Il faut baisser les loyers, pas les APL »

 Jean-Baptiste Eyraud : « Il faut baisser les loyers, pas les APL »

Crédit photo : Joël Saget / AFP


Le porte-parole de l’association Droit au logement (DAL), qui défend les droits des mal-logés et des sans-logis, livre son sentiment sur la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL), qui a suscité une vive polémique l’été dernier.


Quel est votre regard sur la politique du logement menée actuellement ?


Une série de mauvaises nouvelles ont été annoncées par le gouvernement, notamment une baisse des APL de 5 euros pour l’ensemble des locataires à partir d’octobre. Et ce n’est qu’un début, puisque cette baisse sur les allocations logement va se prolonger en 2018 (le secrétaire d’Etat Julien Denormandie a annoncé le 20 septembre qu’il n’y aurait pas de baisse des APL en 2018, ndlr) , 2019, et même 2020. C’est en tout cas l’intention affichée des politiques. Autre inquiétude : ces 5 euros peuvent se transformer, par un simple arrêté du gouvernement, en 10, 20, 30 euros… La menace est donc très importante, d’autant plus que l’Etat n’envisage pas de faire baisser les loyers dans le secteur privé.


 


L’exécutif prévoit néanmoins une baisse des loyers équivalente à la baisse des APL pour les logements sociaux. Est-ce une bonne idée selon vous ?


Edouard Philippe, le Premier ministre, veut effectivement imposer une baisse des loyers dans le parc social. Les bailleurs sociaux y sont opposés et nous disent, à juste titre, que s’ils baissent les loyers, il y aura moins d’argent pour l’entretien du patrimoine, pour les travaux d’isolation thermique, pour la construction de nouveaux logements sociaux… On est donc opposé à cette ponction sur les APL au détriment des bailleurs sociaux et, par extension, au détriment des locataires.


 


Que répondez-vous à ceux qui, comme la députée LREM Claire O’Petit, considèrent que 5 euros d’APL en moins, ce n’est rien ?


Pour les politiques qui tiennent ce genre de discours, 5 euros, ce n’est effectivement rien puisqu’ils ont, et ont toujours eu, de l’argent. La plupart des députés LREM sont issus des catégories sociales aisées. Ils n’ont pas conscience que pour certains, cette somme permet de se nourrir pour une journée, voire plus. Pour moi, la déclaration de Claire O’Petit n’est ni plus ni moins que du mépris de classe. L’idée du gouvernement est de faire des économies sur les APL, donc sur les dépenses des ménages les plus pauvres, pour financer la réduction de l’impôt sur la fortune (ISF). C’est une logique comptable en faveur des rentiers, des spéculateurs, des Sociétés civiles de placement immobilier (SCPI)… et en défaveur des populations les plus fragiles.


 


Le gouvernement souhaite créer un “bail mobilité”, à durée limitée, pour les publics les plus précaires. Qu’en pensez-vous ?


Une nouvelle loi logement doit être annoncée mercredi (le 20 septembre 2017, ndlr). Elle prévoit notamment la création d’un nouveau contrat locatif d’un à neuf mois (en fait dix mois, ndlr). On va donc passer du bail de trois ans renouvelable au bail d’un mois non renouvelable. C’est dramatique. Le processus de très grande précarisation et de fragilisation des classes populaires, des étudiants, est bien “en marche” ! La stabilité du logement est une question fondamentale, et la politique actuelle agit à son encontre. Il faut un endroit stable pour se soigner, se reposer, travailler, faire ses études, élever ses enfants… On peut difficilement vivre dans la société actuelle en mobilité permanente. Pourquoi pas la mobilité des marchandises, des capitaux (rires), mais il faut arrêter avec la mobilité des humains.


 


Quelles actions concrètes mène le DAL actuellement pour lutter contre le “sans-abrisme” et faire valoir les droits des locataires les plus pauvres ?


On est initiateurs d’un front qui est en train de se constituer, très large, contre la baisse des APL, les menaces sur les équilibres du logement social et l’encadrement des loyers. Il y a quelques jours, par exemple, on a mené une action coup de poing un peu symbolique pour dénoncer la politique du logement du gouvernement. On s’est rendu devant le futur siège du parti du président Macron, au 63, rue Sainte-Anne. On est entrés dans la cour intérieure de l’immeuble pour manifester. Malgré la pluie, les mal-logés ont fait le déplacement. On a le sentiment d’avoir crié là où il fallait. Jeudi (le 21 septembre 2017, ndlr), le décret “moins de 5 euros” sera présenté devant le conseil national de l’habitat. Nous avons donc prévu de manifester à cette occasion pour faire entendre notre voix… et notre mécontentement (le rassemblement s’est déroulé dès 9 heures devant la Tour Séquoïa de La Défense, ndlr). Aussi, une mobilisation beaucoup plus massive est prévue mi-octobre (le 14, ndlr), dans l’espoir que les locataires sortent de chez eux pour défendre leurs intérêts. Cela nécessite de mettre en place une campagne très construite, musclée et dynamique. Mais on est prêt à relever le défi !


 


Un message à adresser au gouvernement ?


Arrêtez de prendre des mesures improvisées, mal préparées et mal annoncées ! On sait comment résoudre la crise du logement, et les réformes conduites en ce moment vont à l’opposé de ce qu’il faudrait faire. Ce que l’on préconise est simple : il ne faut pas baisser les APL. Il faut produire du logement accessible, en encadrant notamment les loyers du secteur privé. Il faut réquisitionner les logements vacants, surtout les locaux de riches propriétaires, de l’Etat, de l’administration, pour les sans-abri. Il y aurait largement de quoi les héberger. Il faut des financements pour construire de plus en plus de logements sociaux et non fragiliser les dispositifs existants. Il faut mettre fin aux expulsions sans relogement et appliquer la loi Dalo (1), fruit des mobilisations des mal-logés. 


(1) La loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 permet aux personnes mal logées, ou ayant attendu en vain un logement social pendant un délai anormalement long, de faire valoir leur droit à un logement décent ou à un hébergement (selon les cas) si elles ne peuvent l’obtenir par leurs propres moyens. Pour en savoir plus : droit opposable 


MAGAZINE OCTOBRE 2017

Jonas GUINFOLLEAU