PORTRAIT. Akrame Benallal, l’architecte du goût

 PORTRAIT. Akrame Benallal, l’architecte du goût

Akrame Benallal, chef étoilé et « architecte du goût », pose dans son restaurant parisien, symbole de sa créativité et de son parcours culinaire exceptionnel. (Photo : JOEL SAGET / AFP)

Chef étoilé, entrepreneur et créateur de concepts, Akrame Benallal a connu l’ascension fulgurante avant d’affronter les limites d’un modèle fondé sur la croissance à tout prix. À 44 ans, celui qui se définit comme un « architecte du goût » revendique une cuisine plus posée et une trajectoire pensée sur le temps long.

 

Avant les étoiles, avant Paris, avant les cuisines feutrées et les grandes tables, il y a l’odeur fraîche de la menthe. Des bouquets serrés dans les mains d’un écolier qui, après la classe, s’improvise vendeur sur les marchés d’Oran pour aider une mère qui élève seule ses trois enfants. C’est là que commence l’histoire d’Akrame Benallal, loin des fastes, dans un quotidien fait d’effort, de débrouille et de gestes répétés.

Né dans la région parisienne en 1981, élevé en Algérie, Akrame Benallal revient adolescent en France, du côté de Tours pour passer son CAP de cuisine. Il apprend vite, travaille beaucoup et côtoie les grands : Pierre Gagnaire en France, Ferran Adrià en Espagne. À tout juste 24 ans, il ouvre son premier restaurant qui fera faillite en 2010. Un coup dur, fondateur. « Une leçon de vie », dira-t-il plus tard. À l’époque, il monte seul, pierre par pierre, convaincu que le travail acharné suffit à tout. Il se relève. Mieux : il accélère.

À peine un an plus tard, le revoilà à Paris où ce surdoué inaugure son restaurant gastronomique éponyme. La reconnaissance arrive vite. Première étoile Michelin en 2012, deuxième en 2014, qu’il perd en 2016. Mais qu’importe : Akrame Benallal restera à jamais le premier chef maghrébin à recevoir cette prestigieuse distinction. Une fierté assumée, non pour lui seul, mais pour ce que cela ouvre : « des portes pour d’autres talents ».

Autour de son nom se construit Akrame Power, un groupe qui comptera à la belle époque jusqu’à 13 restaurants et près de 200 collaborateurs. Paris, l’Asie, une énergie folle, une créativité tous azimuts. Du gastronomique pointu aux concepts plus accessibles : A’Plum, Shirvan, cafés, cantines, tables de partage… Akrame explore, décline, multiplie. Il veut créer des lieux pour chaque moment de vie. Mais cette croissance rapide, trop rapide, va atteindre un plafond de verre.

L’après-Covid agit comme un révélateur. Bouleversements économiques, saturation de Paris, enchaînement des crises (attentats, grèves, Gilets jaunes) mettent à mal les affaires. Continuer à empiler les projets, travailler toujours plus dur, avancer seul… ne suffit plus. Il comprend alors que l’artisan doit devenir stratège. Que « faire plus » n’est pas toujours « faire mieux ».

Il se recentre, restructure, ferme, ajuste et se découvre businessman par nécessité. « Paris est devenue trop petit », dit-il. Trop de restaurants haut de gamme pour un flux qui ne suit plus. Le rêve parisien, autrefois moteur, devient un marché à manier avec prudence. Sa nouvelle devise : moins mais mieux.

Mais ce recentrage ne rime surtout pas avec repli. Si le restaurant Akrame à Paris reste un pilier, à l’international, l’élan demeure. Shirvan régale une clientèle huppée à Marrakech, au Mandarin Oriental. Le groupe est présent à Istanbul et surtout, un projet d’envergure se dessine en Arabie Saoudite, à Amala, près de Neom, un hôtel comptant quatre restaurants en ouverture imminente.

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Créer, transmettre, fédérer

Aujourd’hui, il se définit comme un architecte de goût. Cet admirateur de Soulages dessine toujours ses plats à l’encre noire. Parce que ça va plus vite que les mots. Parce que la création reste vitale. Sa cuisine a évolué : plus posée, plus nature mais toujours singulière. Fidèle à son ADN, loin des effets de mode. Il observe aussi la mutation du restaurant étoilé : moins de rigidité, plus d’émotion. Des lieux à 360°, où l’expérience compte autant que l’assiette.

Dans ses équipes, il reste un fédérateur de jeunes talents. Pas un boss, plutôt un capitaine. L’entreprise, dit-il, est une école de vie. Il a appris à écouter les nouvelles générations, leur besoin d’équilibre. Ces dernières années lui ont appris une chose essentielle : tout est fragile. D’où son insistance sur la bienveillance, la solidarité, cette « bienveillance amoureuse du monde » chère à Yann Arthus-Bertrand.

S’il devait résumer son parcours en un plat, ce serait la chorba de sa mère. Un plat simple, réconfortant, essentiel. Comme un retour aux sources. À 44 ans, Akrame Benallal sait qu’être chef ne relève pas du sprint mais de l’endurance. Comme les sportifs de haut niveau qu’il a nourris lors des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, il avance en coureur de fond : concentré, résilient, conscient que la performance se construit dans la durée.

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