Lyes Louffok : « Supprimer le ministère de l’Enfance, c’est un symbole désastreux »


Ce travailleur social, membre du comité de Conseil national de la protection de l’enfance, est l’auteur de “Dans l’enfer des foyers” (J’ai lu, 2016), un témoignage poignant sur son expérience comme enfant de l’Aide sociale à l’enfance.


Vous dénoncez les traitements en foyers et familles d’accueil, et participez activement à la protection de l’enfance. Quel est votre itinéraire ?


Je fais partie des chiffres de cette maltraitance ! J’ai été placé en pouponnière à la naissance, à cause d’une mère atteinte de troubles psychiatriques. J’ai ensuite été ballotté pendant seize années au gré des décisions de juges et de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Pourtant, j’ai vécu dans une famille aimante qui voulait m’adopter, mais l’ASE a refusé. On m’a replacé deux ans plus tard chez une mère d’accueil totalement dépassée, puis, à 10 ans, dans des foyers. J’ai survécu comme un enfant-soldat. Mon dernier placement a été ma seule chance pour ne pas finir à la rue. C’est à ce moment que j’ai découvert Ni putes ni soumises, et que j’ai décidé de politiser ma rage.


Quels sont selon vous les dysfonctionnements majeurs auxquels il est urgent de répondre ?


Il y en a tellement ! L’ASE est une institution poussiéreuse, qui est à repenser dans son ensemble. Chaque jour, en France, deux enfants meurent sous les coups, et 324 000 sont placés. La question du repérage précoce de la maltraitance est prioritaire. L’absence de contrôle dans les foyers et familles d’accueil est intolérable. Il faudrait aussi créer un statut adapté à l’enfant, pour faciliter l’adoption simple et sortir du maintien du lien biologique à tout prix. Les juges pour enfants ne sont pas assez impliqués, et les professionnels doivent être mieux formés… La liste des lacunes de ce système est sans fin.


Comment peut-on y remédier concrètement ?


Cela demande beaucoup de mobilisation et de moyens. Il faut privilégier les actions pratiques aux débats politiques. Pendant un an, avec Laurence Rossignol, ministre de l’Enfance, j’ai travaillé à un projet de loi pour renforcer la protection de l’enfance : on nous a écoutés, mais nous n’avons pas été entendus ! Pour que ça bouge enfin, il faut une prise de conscience massive, une implication des pouvoirs publics. Les associations et la société civile doivent être plus militantes elles aussi. Les anciens de l’ASE, comme moi, et les professionnels de l’enfance devraient faire bloc contre le système en place. Mais, signe alarmant, le nouveau gouvernement vient de supprimer le ministère de l’Enfance. C’est un symbole désastreux ! J’ai adressé une lettre ouverte au Président Macron pour lui faire part de mon inquiétude. Un rapport de force aujourd’hui est devenu nécessaire pour que ça change.


MAGAZINE JUILLET AOUT 2017

Alexandra Martin