Tunisie. Des peines de prison de 18 ans à 66 ans pour complot contre la sûreté de l’Etat

 Tunisie. Des peines de prison de 18 ans à 66 ans pour complot contre la sûreté de l’Etat

A l’issue d’un procès hors normes comptant une quarantaine d’accusés, procès aussi expéditif dans son déroulement que moyenâgeux dans ses sentences, le choc est sismique tant pour les familles des opposants politiques que pour une grande partie de l’opinion nationale et internationale.

Les accusés ont ainsi été jugés coupables à des degrés variés, a précisé ce matin samedi un responsable du parquet antiterroriste. Autorisés à couvrir la première audience, les journalistes n’avaient pas tous pu accéder à celle tout aussi chaotique du 11 avril dernier. Mais hier vendredi, l’interdiction d’accéder au Palais de justice était cette fois explicite.

A l’aube, le tribunal de première instance de Tunis a finalement prononcé des peines de prison allant de treize à soixante-six ans. Les accusés ont été jugés coupables à divers degrés, plus sévères les uns que les autres, de complot contre la sûreté de l’Etat et d’adhésion à un groupe terroriste. Dans le détail : le lobbyiste et homme d’affaires, Kamel Letaïef, a été condamné à 66 ans de prison. L’ancien ministre, Khayam Turki, à 48 ans. Les opposants Issam Chebbi, Ridha Belhaj, Ghazi Chaouachi, Jaouhar Ben Mbarek et Chaima Issa ont quant à eux chacun écopé de 18 ans de prison.

Les verdicts ont été rendus à l’issue d’une audience prolongée. Le jugement a concerné des accusés en état d’arrestation ainsi que d’autres en fuite. Le substitut du procureur a expliqué que les charges retenues parmi les 17 chefs d’inculpation initiaux concernent notamment le « complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État, la constitution et appartenance à une entente terroriste en lien avec des actes terroristes, l’attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement ou d’inciter les habitants à s’entretuer à l’aide d’armes, la provocation de troubles, meurtres et pillages sur le territoire tunisien en relation avec des crimes terroristes, et l’atteinte à la sécurité alimentaire et à l’environnement.

 

« Je ne suis pas une terroriste »

Le jugement a par ailleurs été assorti de l’exécution immédiate pour les accusés en fuite. Parmi les condamnés se trouvent des personnalités connues de l’opposition allant du centre gauche jusqu’aux islamistes, des avocats, des hommes d’affaires, dont certains sont emprisonnés depuis leur arrestation il y a deux ans, d’autres sont en liberté et une partie vit en exil à l’étranger ou ont expliqué avoir fuit à l’étranger à l’image de la militante féministe Bochra Belhaj Hmida qui a expliqué dans une allocution vidéo jeudi dernier avoir combattu le terrorisme tout au long de sa vie pour se retrouver au final accusée de terrorisme.

Vendredi soir, lors d’une troisième audience de ce procès inédit de par le nombre d’accusés, plusieurs avocats de la défense avaient protesté après que le juge eut terminé de lire l’acte d’accusation et mis sa décision en délibération, sans aucun réquisitoire ni plaidoirie de la défense. « Le pouvoir veut un verdict aujourd’hui » alors qu’il y a une « violation flagrante des plus élémentaires procédures judiciaires » puisque les accusés « n’ont pas été entendus », avait déclaré l’avocate Samia Abbou.

L’un des condamnés partis à l’étranger, Kamel Jendoubi, a dénoncé un « assassinat judiciaire », une formule reprise en chœur par ce qui reste de l’opposition encore en liberté, pour qui « ces chiffres énumérant les années de prison n’ont aucune importance, puisqu’elles reflètent une situation absurde, celle où un pouvoir sans passé politique assassine politiquement des militants bien plus légitimes ». En cela, ces verdicts extrêmes affaiblissent le pouvoir en place, d’après certaines ONG dont Human Rights Watch, qui a estimé dans un communiqué cette semaine que l’exécutif « instrumentalise le système judiciaire pour s’en prendre aux opposants et aux dissidents », via des sentences qui vont bien au-delà de celles infligées aux opposants au régime Ben Ali durant les années de braise.

 

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