Tunisie. Intervention de l’armée à Gabès sur fond de protestations anti-pollution

Des centaines de personnes se sont réunies ce weekend pour protester contre un groupement d’usines chimiques de traitement des phosphates à Gabès, dans le sud de la Tunisie, et demander son démantèlement. Les manifestants l’accusent de déverser ses déchets dans la mer et à l’air libre, après une recrudescence de cas d’asphyxie ces dernières semaines qui dégénère en crise socio-politique.
« Le peuple veut le démantèlement du groupe chimique », « Nous voulons vivre ! », « Gabès est victime de la pollution et de l’injustice du gouvernement », ont martelé les protestataires rassemblés à l’appel de l’ONG Stop Pollution, y compris devant le siège du complexe industriel dans la capitale, Tunis.
Des associations ont appelé à manifester après la diffusion vendredi par des médias locaux de vidéos montrant des élèves ayant des difficultés à respirer dans une salle de classe de l’école de Chott Essalem, proche d’une énorme usine de fertilisants. On y voit des agents de la Protection civile et des parents inquiets.
Si cette situation est le résultat d’années de pourrissement et d’inaction en matière d’alternative aux polluants archaïques, les partisans du pouvoir tunisien dénoncent quant à eux une instrumentalisation de cette crise par une société civile en partie financée par des officines étrangères, tandis que l’opposition condamne quant à elle une présidence de la République dont l’action se résume aux slogans écologistes sans lendemains.
Ras-le-bol chez les locaux
Dès le 9 septembre, une vingtaine de personnes avaient déjà été hospitalisées à Gabès pour des problèmes d’asphyxie liés à des émanations provenant de la même usine. Le complexe du Groupe chimique tunisien (GCT), société étatique de traitement du phosphate, implanté près de la plage du Chott Essalem, a été inauguré en 1972, les mines de phosphate étant la principale richesse naturelle du pays.
Après des années de conflits sociaux ayant perturbé l’extraction et le transport du phosphate, le président Kais Saïed a décidé de relancer ce secteur où la Tunisie est tombée du 5e rang mondial en 2010 au 10e actuellement. Le gouvernement a aussi prévu de presque quintupler la production d’engrais d’ici 2030, d’environ 3 millions de tonnes par an à 14 millions, pour profiter de la hausse des prix mondiaux.
Mais produire des fertilisants émet des gaz hautement toxiques comme le dioxyde de soufre et l’ammoniac, tandis que le phosphogypse, résidu de cette production, contamine les sols et nappes phréatiques avec des substances cancérigènes comme le plomb et l’arsenic, et donne lieu à une mer noircie privant les locaux de la baignade depuis plusieurs décennies.
Bilan climatique désastreux
Les habitants de Gabès protestent depuis des années contre la dégradation de leur environnement, déplorant aussi un déclin de la pêche dans cette oasis côtière jadis très poissonneuse. Selon un rapport du laboratoire universitaire français Géosciences Environnement Toulouse, datant de décembre dernier, l’usine de Gabès émet « des niveaux très élevés » de polluants avec des « conséquences dévastatrices » dont des « malformations cardiaques » et divers types de « cancers ». En 2017, les autorités avaient promis le démantèlement du complexe et son remplacement par un établissement conforme aux standards internationaux. Un projet resté lettre morte.
Face au courroux grandissant, l’armée est intervenue pour sécuriser les lieux. Une intervention s’est déroulée dans le calme, sans heurts ni émeutes autour du site, même si une escalade nocturne à eu lieu lorsque des jeunes ont partiellement incendié certains locaux du site.
Samedi, le président Saïed a donné lors de la convocation de Fatma Thabet Chiboub, ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie et de Habib Abid, ministre de l’Environnement, ses instructions pour l’envoi d’une équipe commune issue des deux ministères à l’Usine d’acide phosphorique du Groupe chimique de Gabès, afin de « réparer ce qui doit l’être, au plus tôt ».
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