Afrique. Comment Mohammed VI tisse sa toile

 Afrique. Comment Mohammed VI tisse sa toile

Le roi du Maroc Mohammed VI. Palais royal du Maroc / AFP

L’avenir de l’Afrique passe désormais par Rabat. On l’a vu dans le passé, on le voit aujourd’hui, Mohammed VI ne rate aucune occasion pour remettre sur la table la question de l’interdépendance africaine. Le ton du discours adressé au Sommet des Chefs d’État et de gouvernement sur la sécheresse et la gestion durable des terres à Abidjan ne déroge pas à la règle.

Au-delà de l’aspect factuel d’une grande partie de l’allocution, ce qui interpelle dans ce texte, c’est la mise en garde contre la tentation d’évoquer l’absence de moyens comme prétexte pour ne rien faire : « Le combat contre la désertification et la dégradation des terres est véritablement une lutte existentielle, qui se pose à tous, et à l’Afrique, avec une acuité singulière. Ce combat ne doit s’achopper ni à l’absence de capacités technologiques, ni au défaut de ressources économiques, ni – encore moins – à un manque de volonté politique ».

Et c’est justement, cette volonté politique qui met désormais le royaume à la pointe du combat contre les fléaux qui mettent l’Afrique à genoux, de la sécheresse aux conflits, en passant par ce néocolonialisme qui pille les ressources naturelles.

Sans aller jusqu’à revisiter l’histoire du règne de Mohammed VI, force est de reconnaître que l’orientation africaine de la diplomatie marocaine est couronnée de succès autant qu’elle suscite la rage et l’envie, aussi bien dans le voisinage immédiat du royaume qu’au niveau des anciennes puissances coloniales.

Car il s’agit bien de stratégie ici, car l’offensive de charme vers l’Afrique ne doit rien au hasard : l’intégration du Maroc au sein du continent et son retour en tant que puissance africaine sont principalement le fait du prince basé sur une multitude déplacements royaux effectués par le monarque depuis le début de son règne.

Dans ces déplacements, les hommes d’affaires et les membres de l’exécutif embedded, comme disent les Américains, n’avaient en réalité pas d’autres choix que de se mettre autour de la même table avec leurs homologues africains.

Contrairement au passé, les hommes qui accompagnent le roi dans ses déplacements ne sont pas en villégiature, bien au contraire, les profils choisis le sont en fonction de leur degré de pénétration en Afrique, avec un Roger Sahyoun, patron de Somagec, qui cultive une amitié de longue date avec Obiang , le président de la Guinée équatoriale, bien introduit également auprès des Sénégalais ou du pouvoir politique au Mozambique, un Othman Benjelloun dont les banques ont essaimé dans les capitales africaines, un Kabbaj dont la société de BTP, la SGTM, travaille sur de gros chantiers en Côte d’Ivoire, sans oublier des patrons d’entreprises publiques comme l’OCP, dont Mostafa Terrab a fait un fer de lance de diplomatie économique dans le continent.

Ainsi, pratiquement toutes les grandes entreprises publiques et privées ont été invitées à offrir leurs services à l’extérieur des frontières marocaines et investir de nouveaux marchés africains, dont certaines l’ont fait avec succès ; alors que d’autres, par peur, se sont abstenues de mettre la main à la poche, mais cela, ça reste une autre histoire.

Ajoutons à cela l’entregent personnel de Mohammed VI qui cultive une amitié sans faille avec bon nombre de dirigeants africains, et le tour est bouclé pour ce ballet diplomatique incessant.

En matière diplomatique (comme dans beaucoup de domaines d’ailleurs), la stratégie de l’actuel détenteur du trône rompt clairement avec le passé. Le « wait and see » du passé a laissé place à une diplomatie offensive tous azimuts, y compris dans les pays qui cultivaient une animosité réelle pour le royaume.

Il suffit de récolter au passage, les pépites de cette chasse au trésor pour voir que les résultats sont là, palpables et visibles, à commencer par cette info pourtant primordiale, passée quasiment inaperçue : l’accord pour un financement donné à l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) et son partenaire nigérian de la Nigérian National Petroleum Corporation (NNPC), pour leur projet conjoint de gazoduc entre la région pétrolière du Nigeria et le Maroc :  contre toute attente, l’OPEC Fund for International Development (OFID), qui dépend de l’OPEP, a accepté de financer, à hauteur de 14,3 millions de dollars, de nouvelles études de faisabilité (FEED) qui seront conduites par les Australiens de Worley !

Une main de fer dans un gant de velours, voilà comment on pourrait qualifier cette diplomatie qui n’hésite pas à montrer les crocs quand il le faut (à l’exemple du revirement sur le Sahara arraché aux Espagnols) et une diplomatie de bon voisinage avec les pays africains qui donne la priorité aux aides d’urgence, ce que fait le royaume systématiquement.

Partisan d’une ligne d’indépendance diplomatique nette vis-à-vis des ex-colons, le tenant du titre ne souhaite ni plus ni moins que les Marocains reprennent la main sur leur destin commun avec l’Afrique, en ayant en tête avant tout leurs intérêts qui ne sont pas forcément calqués sur ceux des Européens.

Vu de l’occident (je pense particulièrement à la France), on a l’impression que les œillères des hommes politiques les empêchent de s’imaginer qu’un chef d’Etat africain (de surcroit) musulman est bien capable d’imaginer des pensées novatrices en matière d’approche diplomatique.

Dans cette démission patente de l’intelligence, certains cénacles cultivent encore ce manichéisme qui a fait les heures de gloire du colonialisme : il y a les bons dirigeants africains, ceux qui se mouchent au moindre éternuement de la métropole et les mauvais, ceux qui osent désormais dire non.

Peut-être qu’un peu plus de rigueur, de sincérité et un peu moins d’arrogance, à condition de revoir ses fondamentaux, permettront au nouveau Macron d’imaginer un nouveau type de relations avec ce « nouveau » dragon d’Afrique du Nord. Car il ne faut pas se leurrer, le froid qui prévaut entre l’exécutif français date bien du retour du Maroc au sein de l’Union africaine en 2017, avec l’appui croissant des États africains à la reconnaissance de la marocanité du Sahara – dont une vingtaine de pays ont déjà ouvert un consulat dans les provinces du sud –, alors que la France continue de pratiquer la politique du « ni-ni » vis-à-vis de ce sujet, essentiel et stratégique pour le palais comme pour le Marocain lambda.

Bien sûr, comme disent les Marocains, « une seule main ne peut pas applaudir », les historiens de demain se demanderont par quel aveuglement ce tournant décisif dans la politique marocaine envers l’Afrique aura été pratiquement absent aussi bien des dernières campagnes électorales que des agendas actuels des hommes politiques. Or, la guerre en Ukraine vient de le démontrer, rien n’est plus important que ce sujet qui remet sur la table la question stratégique de l’indépendance énergétique, quand ce n’est pas l’indépendance tout court.

Pourtant à l’ardente nécessité de redresser l’économie du royaume pour lui donner les moyens de mener ce combat, tout en protégeant les Marocains et l’obligation de trouver en Afrique la plus large alliance possible pour avancer ensemble en profitant de la manne des ressources en abondance, s’ajoute la conviction que désormais au Maroc, l’amour du roi et celui du royaume se confondent. Tout cela sans céder à la tentation de trier entre les bons et les « mauvais » Marocains. Dans un monde qui bouillonne, la perte de temps ne pardonne plus.

 

Abdellatif El Azizi