Covid-19. Épidémiologie et immunité collective : qu’en est-il ?

 Covid-19. Épidémiologie et immunité collective : qu’en est-il ?

Professeure Mechakra Tahiri Samia

Dans une première entrevue, Professeure Mechakra Tahiri Samia avait rapporté que l’épidémiologie était nécessaire aux pouvoirs publics, en permettant aux décideurs de faire des choix en matière de politique de santé, et ce, en pleine connaissance des résultats épidémiologiques qui doivent guider les décisions politiques. À l’heure où l’instauration obligatoire du pass vaccinal est vécue par certains comme une atteinte aux libertés (vaccinés ou non), Madame Mechakra Tahiri, Professeure d’Université en épidémiologie, est revenue avec nous pour nous éclairer sur les aspects épidémiologiques ayant pu justifier (ou non), les mesures prises pour freiner la propagation de la Covid-19. 

LCDA : Alors que l’épidémie de Covid-19 est toujours en cours, on continue de parler d’immunité collective. Comment est-elle définie et calculée ? Est-elle désormais une chimère ?

– L’immunité collective (ou immunité de groupe) veut que quand « suffisamment » de personnes sont protégées contre le virus (de façon naturelle ou vaccinale), celui-ci ne parvient plus à passer d’un hôte à un autre et finit par disparaître. Les personnes immunisées constituent donc une barrière impénétrable aussi bien pour elles-mêmes que pour les autres. Cette théorie était l’argument fort de la campagne massive de vaccination.

Sur un plan scientifique, le pourcentage de sujets immunisés nécessaire pour obtenir l’immunité collective se calcule, selon une formule très simple, qui tient compte du nombre de reproduction de base de la maladie R0 (nombre de personnes infectées par un seul individu). 

Mais ce calcul est théorique, car on ne peut pas en être sur ou le valider dans la réalité, sans étude appropriée et un suivi dans la population. Par ailleurs, ces niveaux, plutôt théoriques, sont fonction des paramètres utilisés pour le calcul et de l’information disponible, du fait qu’un nouveau variant du virus pourrait changer le taux de reproduction de base et remettre en question l’immunité acquise. 

Par exemple, le R0 de la Covid-19 est de 3 avec le virus historique, il est estimé à environ 4 pour le variant Alpha, 5 pour le variant Delta et à plus de 6 pour le variant Omicron.  Dans le cas des nouveaux variants du SARS-CoV-2, le calcul a montré que le pourcentage de la population qui doit être immunisée, pour stopper leur circulation, se situe autour de 80%.

Au stade actuel des connaissances, les niveaux d’immunité collective avancés dans les médias, paraissent donc questionnables et incertains, dans une crise qui a encore beaucoup d’inconnus.

Selon certaines données, les vaccinés seraient aussi contagieux que les non-vaccinés ? Qu’en est-il au juste ?

– Sans aborder les biais qui affectent certaines données épidémiologiques rapportées dans les médias, on observe clairement que la vaccination n’empêche pas d’être positif au SARS-CoV-2 et encore moins de le transmettre. Certains experts expliquent ce constat par le fait que l’efficacité du vaccin peut s’estomper dans le temps, à cause du grand nombre mutations du virus qui continuent de se développer. 

Dans le cas de la Covid-19, les efforts des autorités sanitaires sont plutôt orientés vers la réduction des cas sévères à cause du fardeau que cela représente pour les différents systèmes de santé. Bien qu’en théorie, un vaccin est censé constituer une barrière contre une infection, à l’heure actuelle, le but principal de la vaccination contre la Covid-19 est de réduire les conséquences graves de la maladie.

Dans cette optique et comme l’a souligné A. Kone, professeure d’Épidémiologie et de Biostatistiques, à l’université de Toronto (Canada), il semble judicieux de mieux appréhender, par des études épidémiologiques, les caractéristiques associées à ces cas sévères, afin de mieux cibler les groupes qui en bénéficieraient le plus, contrairement à l’approche universelle utilisée. 

Depuis le début de l’épidémie, la Covid-19 tue essentiellement des personnes âgées et/ou des adultes avec plusieurs comorbidités. Les enfants semblent épargnés. La vaccination des enfants était-elle nécessaire ?

-Dans de nombreux pays, la vaccination des enfants a provoqué un vif débat. Selon certains experts, vacciner tous les enfants n’a aucun sens car d’une part, les hospitalisations et les décès sont rares pour cette tranche d’âge, et d’autre part, les enfants pourront acquérir une immunité naturelle qui est meilleure que celle acquise par la vaccination.

Certains pays ont adopté cette approche , tels que le Royaume-Uni qui, par le biais de son comité supervisant la vaccination anti-Covid , a annoncé qu’il n’étendrait pas le vaccin aux enfants en bonne santé âgés de 12 à 15 ans , en soulignant « Les preuves disponibles indiquent que les bénéfices pour la santé individuelle de la vaccination contre le Covid-19 sont faibles chez les personnes âgées de 12 à 15 ans qui n’ont pas de problèmes de santé sous-jacents qui les exposent à un risque de Covid-19 sévère​ ».

Tout récemment, les autorités sanitaires suédoises ont également décidé de ne pas recommander la vaccination anti-covid des 5-11 ans et estimé que seuls les enfants atteints de comorbidités peuvent en tirer profit.  

En France, la pédiatre Gras-Le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie, et chercheuse en épidémiologie rapporte une dizaine de décès chez les enfants (depuis le début de la pandémie), comparativement à 120 000 chez l’adulte et souligne que les formes graves restent rares chez les enfants. 

En l’état actuel des connaissances, les données épidémiologiques montrent que les enfants semblent donc épargnés par la sévérité de la Covid-19 et ne constituent pas le groupe le plus à risque pour les cas graves, même si le risque n’est pas nul pour eux. 

Toutefois, il faut noter que les situations épidémiologiques différent d’un pays à un autre et il est donc difficile de comparer des données sur des profils de patients différents (minorités ethniques, accès aux soins difficile, état de santé pas satisfaisant, etc.).

>> Lire aussi : Covid-19 : Pandémie, épidémie ou endémie ? Qu’en est-il ?

On parle de faire une 3ème dose ou 4 ème dose de vaccin pour se protéger de la Covid-19 ? Qu’en est-il au juste ?

– La question de l’efficacité à long terme des vaccins contre la Covid-19 demeure au cœur des préoccupations. 

À date, on a observé un fort rebond de contamination de Covid -19, dans plusieurs pays où 80 % de la population, de plus de 12 ans, a reçu au moins deux doses.  Ce phénomène a été observé dans plusieurs pays ayant des taux très élevés (70% -80%) de vaccination et même chez ceux ayant déjà procédé à l’administration d’une 3ème dose, comme Israël.   

Or, pour qu’une vaccination se justifie, il faut qu’au moins, une de ces trois affirmations soit vraie : 1) Le vaccin empêche les gens d’être infectés par le virus.  C’est ce qu’on attend généralement d’un vaccin efficace; 2) Le vaccin n’empêche pas d’être infecté, mais il limite la transmission. Dans ce scénario, une campagne de vaccination massive aiderait à freiner l’épidémie; 3) Le vaccin n’empêche pas la transmission du virus, mais il réduit le risque de complications, d’hospitalisation et de décès. Alors la vaccination serait utile uniquement pour les personnes à risque pour de telles complications ou hospitalisations. 

Dans le cas de la Covid-19, il semble que c’est ce 3ème point qui doit être pris en compte dans le choix de la population à vacciner, d’autant plus que les études ont effectivement montré que le vaccin réduisait le risque de complications chez les personnes à risque, même si cela ne semble plus être le cas, avec les nouvelles mutations qui circulent actuellement dans plusieurs pays. L’OMS vient de confirmer la circulation d’un sous variant dont on ne connait pas encore sa capacité à échapper aux protections immunitaires. Dans tous les cas de figure, il faut que le rapport bénéfice-risque soit positif.

Enfin, avec l’expérience de la « vague Omicron », certains pays d’Europe (Espagne, Royaume Uni) envisagent de considérer la Covid-19 comme une maladie endémique. L’Angleterre, la Catalogne ou encore le Danemark ont carrément supprimé le pass vaccinal. Aux Etats-Unis, tout récemment, le conseiller de la Maison-Blanche, Anthony Fauci a estimé qu’il sera bientôt envisageable de « vivre avec » le virus.

Il serait, peut-être, temps de commencer à réfléchir à des stratégies qui permettraient de vivre avec le SARS-CoV-2 de façon continuelle, avec surtout la nécessité d’évaluer à quel point et dans quelle mesure, on devra faire des rappels de vaccination continuels, en se basant sur l’évidence scientifique.

Sans stigmatisation, ni discrimination des personnes qui émettent, en toute légitimité, des réserves à se faire vacciner ou se faire administrer des doses de rappel.  

Madame Mechakra Tahiri est Professeure d’Université, titulaire d’un Ph.D en Épidémiologie (Université de Montréal, Canada), d’un doctorat d’état en Biologie Humaine (Université Claude Bernard de Lyon, France) et d’un diplôme de recherche Clinique et d’Épidémiologie (Université de Paris IV, France). Elle était chef de service d’Épidémiologie, de Biostatistiques et d’Informatique Médicale à la faculté de Médecine de Casablanca (Maroc). Actuellement, elle exerce en tant que consultante internationale en épidémiologie, auprès d’instances nationales et internationales (OMS, Ministère de la santé, Institutions Maghrébines, Canadiennes, etc).

Malika El Kettani