Edito. France/Maroc : Dégel en vue ?

 Edito. France/Maroc : Dégel en vue ?

Christophe Lecourtier, Directeur général de BUSINESS FRANCE, nominé au poste d’ambassadeur de France au Maroc.

Faut-il vraiment se fier aux effets d’annonce qui s’accélèrent pour nous persuader d’un retour de flamme imminent entre la France et le Maroc ? On apprend ainsi qu’Emmanuel Macron n’est pas contre la nomination de Christophe Lecourtier à l’ambassade de France au Maroc. Bien au contraire, l’information nous a été confirmée par des proches de Laurent Saint-Martin, président du groupe macroniste au conseil régional d’Île-de-France.

 

Ce dernier devrait prendre les rênes de Business France, l’organisme chargé de promouvoir les entreprises françaises à l’international, à la suite du départ de Christophe Lecourtier. Directeur général de Business France depuis 2017 et en principe jusqu’à 2025, Christophe Lecourtier a été jugé apte à gérer l’une des représentations diplomatiques (Rabat) les plus emblématiques de l’Hexagone en raison de ses liens profonds avec l’élite du monde des affaires marocaines. L’ambassade de France à Rabat qui lui est promise, vacante depuis plusieurs mois, est un poste clé pour renouer le fil des relations diplomatico-économiques entre la France et le Maroc. 

Si on ajoute à cela le fait que Mohamed Benchaaboune qui a été nommé directeur général du Fonds Mohammed VI pour l’investissement continue de gérer les affaires courantes de l’ambassade du Maroc à Paris, malgré cette importante nomination dont il avait lui-même piloté la genèse avant de la présenter en juillet 2020, durant son mandat de ministre de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration, on peut dire que les signes d’un réchauffement sont palpables. Sans oublier les préparations en amont de la visite du président français prévue à Rabat en janvier 2023.

Christophe Lecourtier réussira-t-il à mettre fin à une brouille qui a débouché sur un blocage quasi total du flux entre les deux pays ? En tout cas, le choix du personnage n’est pas fortuit. Jusqu’à une date récente, il faut comprendre que Business France, présidée justement par Christophe Lecourtier, est fortement impliquée dans la coopération économique avec l’Afrique par le biais de ses 77 experts sectoriels issus de 17 nationalités différentes.

 

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Au cours de la 4e édition du forum Ambition Africa, qui s’est tenu à Paris, les 4 et 5 octobre 2022, ce fut pas moins de 17 tables rondes, qui se sont penchées sur la situation économique et le climat des affaires en Afrique, avec des focus sur l’agriculture, la santé, la mobilité urbaine, l’eau et les déchets, l’accès à l’énergie, les technologies et les télécommunications, la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) entre autres. En marge de l’évènement Christophe Lecourtier, directeur général, s’était confié au « Point Afrique ». 

Pour expliquer comment la France voyait le partenariat solide entre l’Hexagone et les pays africains pour constituer un espace de codéveloppement industriel, agricole et technologique performant dans un monde en pleine recomposition. 

« À travers l’initiative Choose Africa, lancée en 2018, l’AFD et sa filiale Proparco dédiée au secteur privé mettent leur expertise et leurs outils de financement et d’accompagnement au service d’entreprises qui jouent un rôle déterminant dans la création d’emplois et l’accès aux biens et services essentiels. À la fin de l’année 2021, 3 milliards d’euros étaient déjà engagés au bénéfice de 26 000 startups, TPE et PME africaines et de dizaines de milliers de micro-entrepreneurs. Près de 250 partenaires locaux contribuent à la réussite de cette initiative sur l’ensemble du continent africain. Au total, plus de 1,5 million d’emplois sont soutenus à travers cette initiative. Près de 2 500 entreprises bénéficient également d’un accompagnement technique ».

Ce que ne dit peut-être pas Lecourtier, c’est que le premier bénéficiaire de ce partenariat reste bien la France qui rafle tous les gros contrats en Afrique, même si quelques entreprises locales sont sollicitées pour des travaux d’appoint. Dernier exemple en date, celui du renouvellement du matériel ferroviaire roulant en Afrique du Sud qui est revenu au groupe français Alstom pour construire les 3 600 voitures qui doivent être livrées d’ici à 2025. C’est toujours le cas au Maroc, avec les Lydec, Amendis, Véolia, Renault et j’en passe.

 

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En tout cas, il en faut bien plus pour décrisper le malaise entre l’ancienne puissance tutélaire française et les autorités du Royaume. Au premier chef, le locataire de l’Elysée est-il prêt à se débarrasser de cette arrogance qui empoisonne les relations de la France avec ses anciennes colonies qui ne sont plus des colonies ! Bien sûr, la crise dépasse le personnage, et il va falloir épurer les dossiers épineux qui s’empilent sur la table des négociations. 

A commencer par la question des visas utilisés par l’Hexagone comme moyen de chantage sur le royaume. Autre grosse épine dans le pied, le plan d’autonomie du Sahara marocain, reconnu par tous les pays qui comptent alors que la France fait toujours dans le “ni-ni” faisant toujours la sourde oreille aux mises en garde du souverain qui n’a pas manqué de rappeler, à l’occasion du dernier anniversaire de la Marche verte, à ceux qui affichent encore des « positions floues ou ambivalentes » que, dorénavant, « le Maroc n’engagera avec eux aucune démarche d’ordre économique ou commercial qui exclurait le Sahara marocain » !

L’offensive économique et politique que le Maroc mène en Afrique est perçue en France comme une guerre sourde, menée contre la “Françafrique” sur le continent. Pourtant, ce rejet est partagé par les chefs d’État et les populations africaines, puisque ces crispations contre la France “coloniale”, poussent certains pays jusqu’à chasser les diplomates français de leur territoire. 

Aujourd’hui, le Maroc n’est plus la chasse gardée de qui que ce soit et si quelques bonheurs nourris par des prix et autres légions d’honneur continuent de faire le bonheur de quelques nostalgiques de la France “coloniale”, ici au Maroc, il faut savoir que Paris qui a fini par cristalliser les rancœurs et les rancunes des uns et des autres, devrait se méfier de nouvelles générations décomplexées, qui sont prêtes à voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Beaucoup de voix au sein de la jeunesse n’ont aucun complexe à appeler au boycott de la langue française et de la France au profit de l’anglais et de l’Angleterre, du Canada et des Etats-Unis.

 

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Abdellatif El Azizi