Cela s’appelle la démocratie

 Cela s’appelle la démocratie

crédit photo : Alexandros Michailidis/SOOC/AFP


Dans un régime démocratique, les citoyens choisissent celui (ou ceux) qui va exercer l’autorité en se rendant aux urnes selon un calendrier et des règles précises. Peut-on pour autant affirmer que le peuple gouverne ? Non !


Voilà, par exemple, un pays de 100 millions d’électeurs partagés en deux parts approximativement égales. Cinquante millions moins une voix d’un côté, plus une voix de l’autre. C’est de Monsieur X, cet unique électeur, que dépendra le résultat. Le vainqueur sera peut-être un Adolf Hitler, un Kim Il-Sung coréen. Il déclenchera une guerre mondiale, se livrera à un holocauste. Monsieur X a été diagnostiqué malade mental par tous les psychiatres. Le pays, le monde, mettront son sort entre ses mains.


Théoriquement, et pratiquement, ce cas de figure ne relève nullement de la paranoïa. Il est parfaitement possible. D’une ­manière ou d’une autre, depuis quelques années, des curiosités ­jadis impensables, deviennent la règle démocratique.


En Italie, Beppe Grillo, humoriste notoire, se met à tenir un blog sur Internet en 2005. Progressivement, il atteint un public considérable. Partant de là, Grillo présente des candidats et ­surgit soudainement à la première place des partis politiques. Avec rien de plus que quelques articles en ligne, il chamboule le champ institutionnel.


Donald Trump, richissime héritier, narcissiste gravement ­atteint, déploie tous ses moyens pour faire parler de lui. Star de la téléréalité, il passe pour un clown de grand talent. Entouré de conseillers grassement rétribués, il se présente en apôtre de la xénophobie et prend pied dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, à la stupéfaction générale. La figure dont dépend le sort de la planète appartient désormais à un bouffon patenté.


A l’inverse, mais dans le même schéma, un brillantissime jeune homme jaillit du jour au lendemain dans le paysage politique de l’Hexagone et parvient à se faire élire président de la République française. Cela s’appelle la démocratie.


 


Un curieux concept


Démocratie, soit le gouvernement par le peuple. Curieux concept. Ni une centaine ni un million d’individus ne peuvent songer à gouverner tous ensemble, à occuper chacun un poste ministériel. Une foule ne se transformera jamais en gouvernement, c’est juste absurde. Que l’autorité soit désignée par les ­citoyens, on comprend. Mais penser que le pouvoir devrait être exercé par tous les citoyens rassemblés n’est rien qu’une extravagance.


En régime de barbarie, dans un monde ignorant de la loi, le pouvoir n’est exercé que par la contrainte. Si tu n’obéis pas à mes injonctions, je te bats, je t’emprisonne ou je te tue. Je possède une arme plus longue que la tienne, tu n’as pas le choix, ­­tu te soumets. C’est le principe de la loi du plus fort.


A un degré plus élevé de droit, le plus fort n’a plus à exercer la menace, il obtient le consentement du peuple par la reconnaissance générale de sa suprématie. Un ensemble de lois est alors institué. Des lois auxquelles les gouvernants se soumettent à l’égal des gouvernés. On entre alors dans l’Etat de droit.


La démocratie représente-t-elle la forme la plus achevée de l’Etat de droit ? Nullement. Combien de dictateurs, élus et réélus dans les conditions les plus démocratiques, abolirent sans scrupules toutes les protections juridiques des citoyens ? Combien de monarques se sont transformés en promoteurs intransigeants de l’Etat de droit ?


Si démocratie il y a, elle ne peut se concevoir que représentative. Le peuple élit des délégués qui gouverneront. Un Président élu au suffrage universel exerce son hégémonie. Il arrive que les députés se contentent d’édicter les lois et confient à un gouvernement le soin d’exercer le pouvoir. C’est le régime ­parlementaire à la britannique, largement répandu aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, la souveraineté réside dans le vote de l’électeur.


 


Demandez le programme !


Il se trouve que moi-même, doté du droit de vote en France ­depuis 2002, je suis invité à élire toute sorte de mandataires, du Président au conseiller municipal. Les candidats présentent des programmes d’action qu’ils sont censés mettre en œuvre une fois en place. Je dois confesser que ce choix entre les programmes me plonge toujours dans la plus profonde perplexité. L’un propose de maintenir l’énergie nucléaire, l’autre entend la faire ­disparaître. Et moi, quelle est ma volonté ? Pour quel candidat dois-je voter ? Le charbon et le gaz sont beaucoup plus polluants que l’énergie nucléaire. A contrario, il ne faut pas ignorer les ­accidents dévastateurs de centrales nucléaires. Aucune envie de connaître des nouveaux Tchernobyl ou Fukushima. On rétorquera que le nucléaire a occasionné mille fois moins de morts que les mines de charbon et le CO2. Que choisir ? Le candidat pro ou antinucléaire ? Une fois le dossier étudié de fond en comble, je n’en sais rigoureusement rien.


Autre pomme de discorde : flexibilité du travail ou non ? Accorder au patron le droit de licencier facilement ou le lui interdire. Evidemment, je soutiens le pauvre salarié contre le riche patron. Mais les chefs d’entreprise n’embauchent pas parce qu’ils craignent de ne plus avoir les moyens de congédier. Il faut donc favoriser l’entreprise et lutter ainsi contre le chômage. Mais alors, les ouvriers, déjà inquiets de perdre leur emploi, vont sombrer dans un pessimisme noir et voter pour Le Pen. De quel côté pencher ? Là encore, je suis incapable de me prononcer.


 


L’essentiel ? Respecter la loi


Et les sujets de clivage sont nombreux. Faire la guerre au Mali ou pas ? Intervenir en Syrie ? Sortir de l’euro ? Réformer l’enseignement ? Changer de Constitution ? Réduire les impôts ? Plus ou moins d’Europe ? Questions trop difficiles pour m’en confier la réponse. Pourtant, j’appartiens à cette catégorie étroite qui passe son temps à s’informer, à lire des journaux dans trois langues, des livres, des rapports. Qu’en est-il de l’électeur lambda formaté aux journaux télévisés et à Facebook ? Est-ce l’illettré qui tranchera des questions incompréhensibles à un polytechnicien ?


 


On appartient, souvent de façon héréditaire, à tel ou tel camp. De droite ou de gauche, de père en fils. C’est presque mon cas. Converti à 14 ans au communisme, je suis resté dans la galaxie gauchiste contre vents et marées. Alors que je partage souvent des idées conservatrices, voter à droite me semblerait une trahison, un péché auquel je n’ai jamais cédé. En 2017, mon ralliement à Macron s’est fait en douceur. Empreint de scepticisme.


Le peuple a-t-il exercé son pouvoir de gouverner la France en votant ? Une plaisanterie ! Il a simplement agi selon les règles pour désigner des gouvernants. L’important n’est pas de savoir qui on élit pour faire quoi, l’essentiel consiste à respecter la loi. Comment s’effectue la campagne, où se trouve l’isoloir, qui compte les bulletins. Juste l’Etat de droit. Aussi bien le jour des élections que tous les autres jours, le peuple comme les gouvernants se doivent d’observer scrupuleusement la loi. Aucun écart n’est toléré. Toute infraction est sanctionnée, quel que soit le fautif. Trump ne fait peut-être pas l’affaire, mais il est légitime, car il a été choisi selon les règles de droit.


Ce régime, on peut l’appeler la démocratie. Je préférerais l’Etat de droit ou mieux encore, l’Etat de justice. 

Guy Sitbon