« En Grande-Bretagne, l’islamophobie est considérée comme un délit à part entière »

 « En Grande-Bretagne, l’islamophobie est considérée comme un délit à part entière »

AFP

La géographe et docteure en sociologie est coauteure d’une étude, Espaces de l’islamophobie, stratégies des victimes à Paris et à Londres, financée par la Commission européenne dans le cadre du projet de recherche Sama (Spaces of Anti-Muslim Acts). Elle dresse un état des lieux de l’islamophobie dans les deux capitales.

 

Pourquoi avoir travaillé sur ce sujet ?

Je suis partie du constat que l’islamophobie était étudiée uniquement par des sociologues, des anthropologues ou des juristes. En tant que géographe, je pensais qu’il fallait explorer sa dimension spatiale. J’ai donc proposé mon sujet à la Commission européenne et obtenu la bourse Marie-Curie, qui m’a permis de financer mes recherches.

Quelles sont les différences entre les discriminations recensées à Londres et à Paris ?

Les discriminées recensées à Paris et sa banlieue sont des femmes jeunes et voilées, la plupart du temps d’origine maghrébine ou identifiées comme telles. Lorsqu’elles ont plus de 50 ans, elles sont moins concernées par les actes islamophobes. Pour ces dernières, le port du voile est assimilé à une pratique culturelle, tandis que chez les plus jeunes, il est interprété comme une revendication idéologique et politique. La dimension spatiale est une autre différence notable. En France, les lieux de discriminations sont souvent les institutions publiques. Je pense aux écoles, où des mamans accompagnantes portant le voile ont suscité de nombreuses polémiques. En Grande-Bretagne, les discriminations sont constatées dans l’espace public, notamment les transports en commun. Contrairement à Paris, il n’y a pas de différence entre le nombre d’actes islamophobes recensés au centre de la capitale britannique et en périphérie. Les victimes sont souvent originaires d’Inde, du Pakistan ou du Bangladesh. Ceci est lié à l’histoire coloniale du pays.

Les pouvoirs publics réagissent-ils de la même façon des deux côtés de la Manche ?

En France, où les discours islamophobes sont relayés dans les médias, les agresseurs se sentent souvent légitimes et pensent être les porte-parole d’une majorité. Par ailleurs, les discriminées ont du mal à faire la démarche de porter plainte. Elles ont peur d’être mal reçues. En Grande-Bretagne, en revanche, l’islamophobie est considérée comme un délit à part entière. Les pouvoirs publics encouragent ces victimes à porter plainte. Des policiers se rendent dans les mosquées et expliquent aux fidèles qu’il faut dénoncer tous les actes islamophobes. Si plusieurs sondées en France avouent avoir déjà pensé à quitter l’Hexagone, outre-Manche, les interrogées ont répondu qu’elles avaient le sentiment d’être chez elles et n’envisageaient pas de partir

 

Celine Beaury