Fakhfakh gate : un conflit d’intérêts sonne-t-il la fin du gouvernement ?

 Fakhfakh gate : un conflit d’intérêts sonne-t-il la fin du gouvernement ?

Séance plénière marathon où Fakhfakh n’a pas su convaincre un auditoire extrêmement sceptique

C’est une nuit des longs couteaux qu’a vécue le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh. Une séance plénière au Parlement était consacrée à l’évaluation des 100 premiers jours de son gouvernement. Au lieu de cela, les échanges qui se sont achevés aujourd’hui à 04h00 du matin se sont focalisés sur un scandale au sommet de l’Etat. Un conflit d’intérêts complexe mais direct, entre une entreprise dont il est l’un des actionnaires, et sa fonction de chef de l’exécutif.

 

 

C’était « the elephant in the room », et le chef du gouvernement a visiblement souhaité évacuer le malaise d’emblée. Face aux députés, sur l’heure et demie qu’a durée son allocution, Elyes Fakhfakh consacre près d’une trentaine de minutes à son auto défense dans cette affaire brûlante. Un exercice assez laborieux, où il se met en difficulté lorsqu’il s’adresse à ses détracteurs en les haranguant depuis le perchoir de l’Assemblée : « ceux qui pensent m’atteindre peuvent se gratter ! ». « Des propos orduriers et hautains », estiment plusieurs élus dont certains quittent l’hémicycle.

 

« Revolving doors »

La porte tambour (revolving doors), aussi appelée « porte tournante » ou « chaise musicale », est une rotation de personnel entre un rôle de législateur et régulateur, et un poste dans l’industrie affecté par ces mêmes législation et régulation (donc avec suspicion de conflit d’intérêt). Dans certains cas ces rôles sont assumés séquentiellement, mais dans certaines circonstances ils peuvent être assumés en même temps. Une relation malsaine peut se développer entre le secteur privé et le gouvernement, basée sur l’allocation de privilèges réciproques au détriment de l’intérêt du pays.

Cette définition s’applique précisément au cas de l’espèce. Dans son auto plaidoyer, Fakhfakh n’a ainsi pas nié le cœur de l’affaire : la chronologie documentée de l’octroi d’un marché public de recyclage des déchets à l’une de ses entreprises en avril dernier, alors qu’il était entré en fonction à la Kasbah depuis plus de deux mois. D’où une ligne de défense bancale. Il plaide également le flou juridique des textes en vigueur, arguant enfin qu’il vient d’entamer la cession de ses actifs. Trop peu trop tard ?

Pour certains députés, l’affaire révèle un fléau plus grand encore : celui des délits d’initié et de la collusion entre grands commis de l’Etat. L’un des conseils juridiques du groupement d’entreprises en partie détenu par le chef du gouvernement est en effet selon le député Maher Zid nul autre que l’ancien ministre de la Justice Ghazi Jeribi. Un homme qui quelques mois après avoir quitté le ministère se trouve en position de défendre les intérêts d’un groupe privé contre l’Etat. Il est accessoirement le frère de l’actuelle ministre de la Justice Thouraya Jeribi.

 

Le diable est dans le détail

Réuni hier jeudi, le bureau de l’Assemblée des représentants du peuple a pris acte de la demande de l’opposition de créer une commission d’enquête parlementaire sur « la situation de conflit d’intérêts et de suspicion de corruption visant le chef du gouvernement ». Une disposition conforme à l’article 60 de la Constitution et à l’article 98 du règlement intérieur du Parlement, explique le bureau de l’ARP.

Eminemment politique dans l’un de ses volets, le dossier est selon la députée Samia Abbou à caractère subtilement punitif. La composante Ennahdha de l’actuel gouvernement n’ayant pas les coudées franches dans une équipe gouvernementale dont elle a échoué à choisir le chef. Arrivé au pouvoir de façon quasi fortuite, Fakhfakh est pour rappel le candidat parrainé à ce poste par l’actuel président de la République.

Or, l’affaire jette davantage encore l’opprobre sur la composante anti-corruption de ce gouvernement censé être celui de l’exemplarité éthique. L’embarras était visible notamment sur les visages impassibles de Mohamed Abbou, ministre de la Fonction publique, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, et de Ayachi Hammami, militant historique et ministre auprès du chef du gouvernement chargé des Droits de l’homme et de la Relation avec les instances constitutionnelles et la société civile.

Pour de nombreux observateurs, la situation éthiquement intenable de ce gouvernement en poste depuis 4 mois ne peut se solder que par une rapide démission. En pleine phase post pandémie Covid-19, la vacance du pouvoir qui en résulterait aggraverait une crise économique doublée d’incertitude.

 

>> Lire aussi : Rien n’indique une tentative de coup d’Etat en Tunisie

Seif Soudani