Football. Le voile de la discorde

 Football. Le voile de la discorde

Quelques militantes lors de leur premier tournoi 100% féminin #footballpourtoutes dans le cadre de la Football People. © Anissa Dehimi

La polémique autour du burkini autorisé dans les piscines de Grenoble touche une fois de plus au voile, désigné par les extrémistes de tout bord comme un symbole d’islamisation de la société. Voilà pourquoi, au détriment de la loi, la FFF continue d’interdire son usage sur les terrains de football. Le collectif des Hijabeuses se bat pour obtenir le droit de jouer.

 

« A chaque fois, on est renvoyées à notre voile, alors qu’on souhaite être considérées comme des sportives. » Inès, membre du comité directeur des Hijabeuses, collectif créé en mai 2020, a la voix calme et posée. Depuis plus d’un an, ces dernières essayent avec bienveillance de sensibiliser l’opinion publique pour obtenir le droit de fouler un terrain de football en compétition avec leur hijab. Une campagne qui s’articule autour de trois axes : pointer du doigt les injustices en dénonçant les discriminations ; donner de la voix à ces femmes trop souvent mises de côté ; et avoir un regard critique et analytique avec un accompagnement scientifique.

La démarche a été impulsée dès juin 2019 par une chercheuse, Haïfa Tlili, qui a posé le sujet sur la table en invitant des spécialistes à la Maison de la diversité du réseau Fare Network, en parallèle de la Coupe du monde féminine de football. « A partir de là, elle a pu réaliser une première phase d’entretiens avec les principales concernées, les personnes exclues des terrains à cause de leur voile », explique Inès.

Un second événement a eu lieu six mois plus tard, en janvier 2020. Un atelier de discussions animé par l’Alliance citoyenne (spécialiste des méthodes du « community organizing » pour fédérer), mais aussi les organisations Women Win et Fare Network. Soixante-dix femmes ont été conviées pour partager leurs témoignages, leurs vécus. « Là, on s’est dit qu’on ne devait plus rester silencieuses et être actrices pour apporter du changement », commente Inès. Quelques mois plus tard, au sein de l’association Alliance citoyenne, naissent les Hijabeuses, avec une ambition commune : libérer la parole et permettre à ces femmes de faire du sport, comme les autres.

Des femmes de tous horizons, voilées ou non

Le voile de la discorde
Lors d’un match solidaire avec les Cacahuètes Sluts, club de foot féminin engagé pour la cause LGBT. © Marthe Minaret

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas simplement un groupe de femmes voilées qui militent pour leur paroisse, mais bien plus que cela. « Au sein de notre collectif, il y a des musulmanes, non musulmanes, croyantes ou non, de toutes origines et tous les milieux. » A l’image de leur message, toutes prônent la diversité, la tolérance, l’entraide.

Aussi les Hijabeuses représentent-elles, à ce jour, plus de 170 militantes luttant contre les discriminations. Leur compte Instagram (@leshijabeuses) totalise, lui, plus de 5 000 abonnés. « De nombreuses femmes pratiquent le football dans des clubs et ont envie de participer aux compétitions, aux matches, enchaîne Inès.  Elles sont motivées, elles s’entraînent, elles sont passionnées, mais elles ne sont pas considérées comme des sportives. Tant qu’il n’y aura pas d’évolution, elles seront encore exclues des terrains. Nous voulons que le droit de chacune de faire du sport soit respecté. Vivre cette exclusion, c’est très difficile, alors se retrouver en groupe, pouvoir en parler, ça nous permet de mettre des mots sur les maux, afin de prendre du recul, chercher des solutions avec toutes les parties prenantes dans un esprit de sororité. »  

L’enjeu réside ici : réussir à faire évoluer les mentalités avec les acteurs du football, notamment celle de la Fédération française (FFF), qui campe sur ses positions. « Ils interdisent le voile sous le principe de neutralité, de laïcité, de sécurité et d’hygiène, mais ces arguments ne tiennent pas, expose Inès. Si on en revenait au droit, à la définition même de la laïcité, on n’interdirait pas à une fille d’accéder à un terrain de football, c’est contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. » Difficile, assure-t-elle par ailleurs, d’entendre les arguments autour de la sécurité et l’hygiène, quand des hijabs de sport homologués sont aujourd’hui disponibles dans le commerce et portés dans de nombreuses compétitions à travers le monde.

Véritable sujet de société pour les extrémistes de tous bords, les femmes voilées se retrouvent mises à l’écart, au moment où la FFF annonce avec fierté un plan de féminisation du football. « On souhaiterait être incluses, reconnaît la Hijabeuse. Il faut en faire un sport pour toutes les femmes sans distinction ! »

Les Hijabeuses continuent leur « match » pour le voile

Un entraînement improvisé au siège de la fédération

Plutôt que de s’engager sur le terrain juridique – « même si on gagne, les arbitres et les coachs seront-ils formés ? » –, les Hijabeuses veulent faire évoluer les mentalités en sensibilisant à travers des événements. En un an de mobilisation, plus de six matches ont été organisés avec des équipes féminines avant un grand tournoi* qui a réuni 16 équipes et plus de 200 participants.

Le 23 juillet, elles étaient une vingtaine dans le hall du siège de la Fédération française de football (FFF) en tenue de sport, avec en fond l’hymne de la Ligue des champions, pour un petit entraînement et des prises de parole dans ce lieu symbolique. Organisées, structurées et avançant toutes dans la même direction, les Hijabeuses ont conscience que le changement ne se fera pas du jour au lendemain : « On sait que c’est un marathon pour modifier le règlement, c’est un travail sur le long terme, concède Inès. Pour ça, il faut déconstruire les préjugés, sensibiliser l’opinion publique et montrer qu’une femme musulmane qui porte le voile peut faire du sport comme les autres. Le travail de recherche-action de Haïfa Tlili nous permet justement d’avoir un regard objectif et scientifique sur ces expériences et ces discours pour faire émerger des recommandations efficaces. Car un plan de féminisation réussi ne peut se faire qu’avec toutes les femmes. Il faut que cela parte des filles qui ont vécu ces discriminations, qu’elles mettent ces injustices au service de la justice. »  

 

(*) UN TOURNOI POUR TOUTES 
Le 13 juin, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), les Hijabeuses ont organisé leur premier tournoi 100 % féminin, intitulé #footballpourtoutes, dans le cadre de la Football People Week de Fare Network, une ONG qui lutte contre les discriminations et le racisme sur les terrains. Avec 16 équipes et plus de 200 personnes, cet événement avait pour but de promouvoir un football pour toutes les femmes, peu importe leur appartenance religieuse ou leurs origines ethnique et sociale, afin de faire évoluer le débat et les statuts de la FFF. Un rassemblement placé sous le signe de l’émancipation par le sport, le dépassement de soi et le partage.

 

 

Jonathan Ardines