François-Aïssa Touazi : « On va vers une mondialisation plus responsable »

 François-Aïssa Touazi : « On va vers une mondialisation plus responsable »

François-Aïssa Touazi à Paris le 12/11/2017 (Image Sébastien Soriano/Le Figaro) Photo sebastien soriano/ Le Figaro

François-Aïssa Touazi est directeur pour la région Mena et Asie du Sud Est d’un des leaders mondiaux de l’investissement privé. Cet ancien conseiller au ministère des affaires étrangères est un fin connaisseur du monde arabe. Egalement co-fondateur de Cap Mena, un think tank spécialisé sur le monde arabe, il nous livre ses impressions sur le Machrek et la mondialisation. 

 

Au Machrek et dans le Golfe, comment a été vécue la crise économique ?

François-Aîssa Touazi : L’Egypte devra faire face à une baisse significative de son activité touristique. Cela représente 12% du PIB. Il faut rajouter aussi la diminution des transferts des travailleurs égyptiens installés à l’étranger (11% du PIB). Le ralentissement économique mondial aura aussi un impact sur les revenus du Canal de Suez. Le Caire entend recourir massivement à l’endettement pour faire face à cette crise. Par ailleurs, 35% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les conséquences de cette crise pourraient être dramatiques en raison du surpeuplement et du délabrement du système de santé.

Pour les pays du Golfe, l’impact de la baisse du prix du baril qui a perdu plus de 60% de sa valeur entre janvier et mars sera important. Ils se préparent à enregistrer des déficits publics colossaux allant jusqu’à 20% du PIB. Certains pays entendent recourir aux émissions obligataires, capitalisant sur la confiance dont ils bénéficient auprès des institutions financières.

C’est le cas de l’Arabie Saoudite, d’Abu Dhabi et du Qatar. Ils pourront aussi puiser sur les  ressources dans leurs puissants fonds souverains. Leurs richesses cumulées dépassent les 2500 milliards de dollars. Pour l’instant, les autorités du Golfe ont prévu des mesures fortes pour contrer les effets de cette crise. Par exemple, l’Arabie et les Emirats ont mis en place des plans de relance ambitieux. D’une valeur cumulée de 100 milliards de dollars, ils vont soutenir les entreprises et les ménages. Certains d’entre eux ont également décidé de réduire sensiblement leurs dépenses.

 

L’Arabie Saoudite va t’elle maintenir son projet, Vision 2030 ?

François-Aîssa Touazi : Ryad redoute que cette crise menace son ambitieux plan de transformation nationale, Vision 2030. Il a pour objectif de préparer le pays à l’après pétrole par le développement de nouveaux secteurs de croissance (tourisme, loisirs, industries notamment de l’armement, énergie solaire, cité futuriste de NEOM…). L’Arabie Saoudite prévoit que les revenus devraient dépasser ceux du pétrole à l’horizon 2030. Aujourd’hui, le secteur privé tourne au ralenti. L’’industrie pétrochimique, fer de lance de la diversification connaît une baisse de régime. Le tourisme religieux, deuxième source de revenus est à l’arrêt. Compte tenu de la situation, le gouvernement vient d’annoncer le triplement de la TVA de 5 à 15 %. La fin des subventions va également accompagner le report des grands projets prévus dans le cadre de Vision 2030.

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Les pays du Golfe misent ils sur des secteurs qui peuvent connaître la crise ?

François-Aîssa Touazi : Même si elles diffèrent par leurs dimensions, l’ensemble des pays du Golfe ont adopté des stratégies de diversification similaires. Celles-ci misaient sur le contrôle de l’amont et de l’aval du secteur pétrolier et gazier. Leur stratégie était de développer de la pétrochimie et de jouer sur leur position géographique stratégique entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.

Cela leur permet d’être fortement présent dans des secteurs aussi divers que l’aérien, le tourisme ou la logistique. Ils cherchent à s’imposer comme un pôle d’attraction majeur à travers le soft power, qui se concrétise autant par l’accueil d’événements internationaux que par des investissements remarqués à l’étranger. 

Or, La plupart de ces secteurs sont frappés de plein fouet par la crise sanitaire. Les compagnies aériennes du Golfe sont clouées au sol. Des licenciements massifs sont à prévoir. Dubaï tourne au ralenti : la plupart des événements sont annulés et l’exposition universelle 2020 de Dubaï a été reportée d’un an. Cette crise devrait inciter les pays de la région à repenser leurs stratégies de diversification en misant sur des secteurs plus résiliants. 

 

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On parle de la crise du Covid comme celle de la mondialisation. Va t’on assister à plus de régionalisation économique ?

François-Aîssa Touazi : Cette crise devrait nous inciter à aller vers une mondialisation plus responsable et plus humaine avec une montée en puissance des investissements socialement responsables. Les investissements dans les secteurs de la santé, l’agrobusiness, la sécurité au sens large, la nouvelle économie du digital devraient être privilégiées. Il y a une telle interconnexion de nos économies, une telle complémentarité et interdépendance entres elles que les effets d’une recomposition ne peuvent être que limités. Les ensembles régionaux devraient toutefois voir leur rôle s’accroitre dans cette reconfiguration.

 

Faut-il comme le préconisent certains, planifier l’économie que ce soit en France ou dans le monde arabe ?

François-Aîssa Touazi : Ce sera l’un des enseignements de cette crise. Il est devenu indispensable non seulement d’identifier les risques à la lumière des enjeux mondiaux et de mettre en place des dispositifs efficaces et résiliants et faire preuve d’un minimum de coordination et de partage, qu’il s’agisse d’informations ou de retours d’expériences. Nous devons en tout cas continuer de nous réinventer et de faire, toujours et encore, preuve de créativité. 

Retrouvez l’analyse de François-Aïssa Touazi sur le Maghreb dans le numéro de juin 2020 du magazine Le Courrier de l’Atlas

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.