Interview de Lucile Abassade, avocate des expulsés du 93 rue Henri Barbusse

 Interview de Lucile Abassade, avocate des expulsés du 93 rue Henri Barbusse

Les membres du collectif 93 HB devant le tribunal administratif de Cergy en janvier 2021. Photo Collectif 93HB

En octobre 2020, une cinquantaine d’habitants du 93 rue Henri Barbusse à Clichy la Garenne est contrainte de faire ses valises dans la précipitation. La police est en effet venue faire appliquer l’arrêté d’évacuation de la mairie juste avant le début de la trêve hivernale.

Face à son obligation légale de reloger les personnes évacuées du 93 rue Henri Barbusse, Rémi Muzeau (maire DVD, NDLR) décide de distinguer celles en situation régulière de celles sans-papiers. Ces dernières, dont des familles avec enfants, se retrouvent donc à la rue.

Elles ne peuvent compter que sur la solidarité des voisins et le soutien des associations, qui se constituent en collectif de soutien. Un an plus tard, le Conseil d’État a tranché en leur faveur, au cours d’une bataille juridique, qui n’est toutefois pas tout à fait terminée comme l’explique Me Lucile Abassade, l’avocate des habitants que nous avons pu interviewer.

 

Le Courrier de l’Atlas : l’évacuation du 93 rue Henri Barbusse, avec intervention de la police, a eu lieu rapidement après l’arrêté de péril de la mairie. Est-ce que l’immeuble présentait un danger immédiat pour les habitants ?

Lucie Abassade : L’immeuble n’était certes pas en bon état, mais était loin d’être inhabitable. Les appartements que les habitants entretenaient correctement étaient même plutôt en bon état. Ce n’était en revanche pas le cas des parties communes. La cave était pleine d’eau et des dégradations, dont plusieurs départs de feu, avaient détérioré les parties communes. Les occupants de l’immeuble n’en sont pas responsables, mais ils avaient peur de porter plainte en raison de leur situation.

D’un autre côté, le propriétaire de l’immeuble était aux abonnés absents. Les locataires payaient donc des loyers à ce qui ressemble à des marchands de sommeil. Mais, la rapidité inhabituelle d’exécution de l’arrêté a donc de quoi questionner. Je n’ai pas de souvenir d’arrêté mis à exécution avec la force publique sous 48 h comme ce fut le cas ici.

D’autant plus que dans un quartier où le prix du foncier est en hausse depuis l’installation du nouveau Tribunal de grande instance de Paris, difficile pour les habitants de ne pas sentir victimes d’enjeux qui les dépassent.

 

LCDA : La mairie a décidé de reloger une partie des habitants, mais pas les autres. Pourquoi ?

Pour tous les habitants d’abord, l’évacuation est extrêmement brutale. Ils n’ont que quelques heures pour évacuer les lieux. La plupart n’emmènent avec eux que quelques affaires dans leurs valises, laissant l’essentiel de leurs effets personnels et de leur mobilier. La mairie fait ensuite rapidement murer les portes et fenêtres, avec donc les possessions des habitants à l’intérieur.

Pour accélérer l’opération, des habitants rapportent que des policiers auraient à demi-mot menacé les personnes en situation irrégulière. Leur expliquant notamment qu’ils pourraient se retrouver placés en rétention. Le maire lui même n’avait pas fait mystère de sa volonté de faire de Clichy « une ville propre » dans laquelle les sans-papiers n’étaient clairement pas les bienvenus.

Parmi les habitants, celles en situation régulière vont ainsi bénéficier d’un relogement en hôtel. Pour les autres, soit 20 personnes, dont plusieurs enfants et un bébé, il n’y a aucune proposition. Elles se retrouvent donc à la rue fin octobre, avec juste quelques effets personnels.

Pour elles, la mairie a clairement signifié qu’elle n’entendait pas honorer son obligation de relogement. On s’attend d’un élu qu’il protège les gens, surtout en hiver. Pas à ce qu’il discrimine les gens, parce qu’ils ont le seul tort de ne pas avoir de papiers.

Certains vont ainsi passer l’hiver dans leur voiture ou vont errer d’hôtels en centres d’hébergement. Des bénévoles de Clichy ont réussi à cotiser pour payer l’hôtel aux familles et ont contacté une avocate pour porter l’affaire devant les tribunaux.

 

LCDA : Malgré cette injustice, les familles lésées n’obtiennent pas rapidement gain de cause

C’est même le contraire au début. Au tribunal administratif de Cergy, saisi en référé, nous perdons alors qu’en matière d’obligation de relogement, la loi ne fait en effet pas de distinction en fonction de la situation administrative. Il y avait donc une discrimination flagrante. Malgré la jurisprudence, les plaignants sont déboutés en première instance.

Nous avons donc porté l’affaire devant le Conseil d’État, qui nous a donné raison en juillet 2021. Lors du deuxième passage au tribunal administratif en août, celui-ci ordonne finalement le relogement en urgence des trois familles avec enfants. Mais, il déboute les adultes sans enfants de leur requête, arguant que le caractère d’urgence ne s’applique pas dans leur cas.

Le 30 décembre, le Conseil d’État a débouté la mairie de son deuxième pourvoi, mettant fin à la procédure en référé.

 

LCDA : Une victoire en demi-teinte donc ?

Les familles vont bénéficier d’un relogement. C’est un grand soulagement pour elles. Pour les autres habitants du 93 rue Henri Barbusse, la situation reste en effet la même. Ils devront donc en passer par une procédure dite « au fond », qui peut prendre des mois, voire des années. Il n’est pas sûr qu’ils en aient la motivation, compte tenu de leur situation précaire.

La mairie a refusé de protéger des personnes vulnérables et n’a pas respecté le droit à un logement décent. Tout ça, parce qu’ils sont étrangers et sans-papiers. C’est révoltant !

Rached Cherif