Job Hopping : Le travail en entreprise comme on change de chemise

 Job Hopping : Le travail en entreprise comme on change de chemise

ILLUSTRATION / Pôle emploi. Thomas Baron / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le « job hopping » est devenu une tendance mondiale. Fini les carrières au long cours au sein d’une entreprise que l’on aime ! Dorénavant, chez les jeunes de la génération millenium et celle qui suit, on change d’entreprise comme de chemise avec l’espoir de progresser ou de gagner plus.

Basé en région parisienne, un couple de trentenaires franco-marocains, Saad et Hasna, suit des parcours différents au niveau de leurs carrières. La jeune maman, Hasna, travaille au sein d’un grand groupe du CAC40 en tant que manager. Son mari, Saad, ingénieur et développeur web a débuté sa carrière en 2011. En 11 ans, il a déjà travaillé pour 8 entreprises là où Hasna est toujours dans la même. « Je change d’entreprise souvent pour des raisons de salaires, de projets, de challenges, indique l’ingénieur. On cherche des petites évolutions. Quand tu es dans le domaine technologique, tu ne peux pas rester à t’encroûter. Il faut tout le temps évoluer. »

Adrien Scemama est Country Manager France chez talent.com, une plateforme et moteur de recherche pour l’emploi qui prend en compte l’intégralité de toutes les annonces mises en place sur le marché. Fort de cette expertise RH, Adrien Scemama connait bien le phénomène de changement permanent d’emploi pour l’avoir observé depuis plusieurs années. « Le job hopping est une tendance qui commence à l’emporter chez les jeunes. Les candidats pensent à leurs à-cotés et donnent une priorité à leurs vies privées plutôt qu’à leurs vies professionnelles. »

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Le salaire et le temps libre comme principales motivations

Job Hopping : une tendance de plus en plus importante chez les jeunes
Adrien Scemama, Country Manager France chez talent.com (DR)

Avec un marché de l’emploi plus précaire, les salariés se sont aussi adaptés aux changements de statuts et d’évolutions de carrière. La question ne tourne plus entre le fait d’avoir un CDD ou un CDI. « Ce n’est pas l’aspect du contrat qui va déterminer le job hopping. Le candidat cherche à donner du sens à son travail mais aussi à gagner plus entre chaque travail. L’attachement à l’entreprise est plus distendu car le salarié prend en compte son évolution personnelle en priorité. »

En premier lieu, la question salariale reste importante et pousse les jeunes à une carrière plus intermittente. « Si tu négocies, le patron te donnera maximum 5%, confirme l’ingénieur informatique. Par rapport à ce que tu peux avoir ailleurs, ce n’est rien. Dés que cela te plait moins, tu passes par des plateformes ou tu es appelé par des chasseurs de têtes. »

Chez talent.com, Adrien Scemama a observé aussi que c’est souvent la rémunération qui entre en ligne de compte pour l’évolution du salarié. « Dans une entreprise, on est en moyenne sur une hausse de salaire de 5%. Avec un changement d’entreprise, on est sur un potentiel d’augmentation de 10 à 20%. Le salarié peut aussi accroitre son réseau professionnel et multiplier ses connaissances et compétences. Pour les entreprises, des nouveaux collaborateurs apportent avec eux de nouvelles méthodes qu’ils ont appris de leurs expériences passés. Ils sont plus flexibles et moins estampillés par l’entreprise. »

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Des carrières hachées en sauts de puce

Pour Saad, sa motivation à changer de patrons souvent est aussi à chercher dans les défis qu’il se lance à lui-même. « Certes, tu peux faire évoluer ton salaire mais ce n’est pas l’unique raison. Comme inconvénient, le salarié perd son ancienneté dans l’entreprise à chaque fois qu’il change de boulot. C’est le challenge qui m’intéresse aussi. Tu fais évoluer tes compétences et acquiert de nouveaux outils qui pourront être utile dans l’avenir. »

Pour Adrien Scemama, les entreprises ont bien intégré ces changements dans le monde du travail, même si cela leur coûte cher au final. « Quand l’entreprise mise sur un candidat qu’elle ne garde pas, le coût est estimé entre 50 et 150 000 euros. Un salarié dans son entreprise, c’est du temps, de l’investissement en formation, etc.. Ce n’est pas forcément une bonne affaire pour l’entreprise que de le voir partir. Pour le salarié, c’est aussi une difficulté car il reste dans une zone d’instabilité et a du mal à se projeter dans l’avenir pour acheter une maison par exemple. »

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La fin de la culture d’entreprise ?

Dans ce monde concurrentiel, le job hopping concerne surtout des catégories d’âge. Une tendance que l’on retrouve plus dans la génération millenium, née entre 1990 et 2000 et habituée à la culture du zapping. « Cela concerne tous les secteurs et particulièrement ceux qui sont moins stables en termes d’organisation et de management, confirme le country Manager France de Talent.com. Le candidat a besoin d’être plus autonome. De toute évidence, ils sont moins attachés et fidèles aux entreprises. Il faut aussi que l’entreprise respecte ses engagements vis à vis de l’employé. Souvent, on donne des tâches au salarié en lui assurant une évolution qui n’arrive pas et qui explique son départ. »

Le mot « culture d’entreprise » semble, dés lors, presque être un gros mot aujourd’hui pour la génération des trentenaires.  » Je n’ai pas d’attachement à l’entreprise où je travaille et malheureusement, c’est réciproque, déclare l’ingénieur informatique. Quand tu vois combien un patron gagne et qu’il ne partage pas, tu te poses des questions. La phrase courante en entreprise est que tout le monde est remplaçable. Du coup, le salarié fait pareil tout simplement !  »

Dans le cas de Hasna qui évolue dans la même grande entreprise depuis 7 ans, la question de la fidélité se pose différemment en raison de son statut de maman.  « Dans une grande entreprise, les gens bougent très peu. On peut avoir des gens qui sont là depuis 10, 15 ou 30 ans. De plus, il existe des programmes pour promouvoir en interne aussi les salariés. Cela va des conditions salariales à la prise de décisions. La qualité des avantages en entreprise est aussi importante. Pour ma part, j’apprécie le CE, la salle de sport mais aussi la crèche en tant que maman« .

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Une génération de « candidat roi » plus que par le passé

Pour Adrien Scemama, la distance entre le salarié et l’employeur est une conséquence directe du télétravail et de l’auto-entrepreneuriat mais aussi à une inversion du rapport de force dans le marché du travail. « Le télétravail entraine ce manque de liens avec les autres collaborateurs et avec l’entreprise. Le salarié va par voie de conséquence se sentir moins attaché. On assiste aussi à un phénomène où le candidat est roi. Il est beaucoup plus sollicité que par le passé. Les offres ont évolué et le candidat attend d’avoir la meilleure offre. Il est en position de force par rapport à l’entreprise. Le secteur de l’hôtellerie par exemple où le télétravail est quasiment impossible à réaliser, a du mal à recruter. Le statut d’indépendant est dorénavant de plus en plus sollicité notamment dans le commercial ou la négociation. »

Ce changement générationnel est aussi ancré dans une culture familiale différente. Entre les plans sociaux, les licenciements et autres difficultés, les trentenaires ont acquis l’expérience amère de leurs parents. « Nos parents n’étaient pas trop informées pour créer des entreprises, explique Saad. C’est plus facile aujourd’hui. Ils préféraient une stabilité et avaient aussi peur de perdre leur emploi. Le risque existait aussi de ne pas avoir de quoi subvenir aux besoins de la famille. De plus, autrefois, tout reposait sur le père uniquement. Dorénavant, c’est le couple qui travaille. . »

Pour sa femme Hasna, la question du genre n’est pas l’élément important dans le job hopping. La structure du métier est aussi un facteur de l’évolution de carrière. « On peut se permettre de prendre le risque car même en cas de coup dur, on est là l’un pour l’autre. Ca ne m’effraie pas de bouger mais je n’en vois pas l’intérêt actuellement. C’est aussi une question de métier. L’informatique dépend de la technologie et il y a plein de boulot dans ce secteur. Dans mon cas, les places sont plus chères. Si je trouve les mêmes avantages ailleurs avec plus de responsabilités, je pourrais y penser aussi. »

 

 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.