Travailleurs saisonniers : courtisés et précarisés à la fois

 Travailleurs saisonniers : courtisés et précarisés à la fois

En France, Les travailleurs saisonniers sont rémunérés au SMIC (1 219 € net par mois), parfois majoré d’heures supplémentaires

La crise sanitaire a mis en lumière l’importance des travailleurs saisonniers étrangers pour l’agriculture française. Depuis la levée des restrictions de déplacement, ils reviennent en nombre dans les champs. Ils sont désormais courtisés par d’autres secteurs, au risque d’institutionnaliser le recours à une main-d’œuvre précaire, voire exploitée.

Dans les entreprises agricoles, cette force de travail est désormais incontournable. En pleine pandémie de covid-19, les exploitants ont même obtenu des autorités françaises des ponts aériens exceptionnels pour acheminer des travailleurs saisonniers alors que les liaisons aériennes à l’arrêt.

L’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) a ainsi fait venir 900 travailleurs marocains en octobre 2020 pour « sauver les récoltes » de clémentines corses. Ou encore 300 autres en décembre de la même année vers les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse pour travailler dans le maraîchage et l’horticulture.

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« La production est fortement dépendante d’une main-d’œuvre étrangère », convient Daniel Sauvaitre, secrétaire général d’Interfel, la filière des fruits et légumes frais en France, qui brasse essentiellement des travailleurs européens (Portugal, Espagne, Roumanie, Pologne…) ou maghrébins.

« Cela se passe très bien. C’est une main-d’œuvre précieuse, qui a en général déjà un savoir-faire », ajoute le producteur de pommes en Charente. Il verrait d’ailleurs d’un bon œil l’accélération de ce recrutement, car « on manque toujours de bras ».

 

De plus en plus de saisonniers dans l’agriculture

« Pendant la crise du Covid, on a organisé des vols spécifiques parce que c’était une nécessité. Mais maintenant, les vols commerciaux ont repris et les travailleurs saisonniers habituels sont déjà là », explique à l’AFP le directeur général de l’Ofii Didier Leschi.

Au point que leur nombre a même progressé par rapport à la situation d’avant la pandémie. Sur les quatre premiers mois de l’année 2019, l’Ofii avait acheminé 2 686 de ces travailleurs. Après avoir été divisé par deux en 2020, leur nombre a explosé en 2022. Depuis le début de l’année, 3 868 ressortissants maghrébins sont employés dans les exploitations agricoles françaises.

Un modèle que jalousent d’autres filières économiques en manque de bras. En effet, les exploitants agricoles peuvent recruter directement à l’étranger avec un dispositif « simplifié ». Ils bénéficient en outre d’ »exonérations de charges sociales patronales », selon le ministère de l’Agriculture.

 

Risque d’exploitation des travailleurs

Le patronat de l’hôtellerie-restauration notamment cherche à regarnir ses rangs après avoir souffert pendant la pandémie. En pénurie de main-d’œuvre cet été, l’UMIH saisonniers (principal syndicat du secteur), s’est récemment tourné vers Tunis pour tenter de nouer un accord sur l’arrivée de saisonniers tunisiens, à l’horizon 2023.

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Le modèle des travailleurs saisonniers agricoles « est malheureusement souvent pris en exemple, alors que c’est loin d’être la panacée », s’inquiète Marilyne Poulain, qui pilote le Collectif immigration de la CGT.

« C’est un statut précaire qui induit un lien exclusif entre le travailleur et l’employeur. Un lien de dépendance problématique. Si un travailleur rompt son contrat avec un employeur, il n’a plus de titre de séjour. Cela génère des situations de traite des êtres humains », explique la responsable syndicale, évoquant des cas de travailleurs étrangers « exploités ». D’autant que pour pouvoir décalquer le dispositif ailleurs, il faut penser l’écosystème qui l’accompagne, prévient Didier Leschi.

« La filière agricole est organisée depuis des années sur le sujet. Les agriculteurs ont mis en place des systèmes d’hébergement à disposition des saisonniers. Donc ça pourrait s’appliquer ailleurs, mais les restaurateurs, les cafetiers, comment vont-ils héberger ces personnes ? Il y a une réflexion d’ensemble à avoir, ça ne se fait pas d’un claquement de doigts ».

Rached Cherif