Art contemporain, Maghreb en tête

 Art contemporain, Maghreb en tête


L’exil comme source d’inspiration. La terre mère en ligne de mire, patrie nourricière et génératrice de nostalgie, mais élément fondateur d’une démarche artistique. Les artistes de la diaspora maghrébine s’en sont emparés pour passer outre la douleur de l’éloignement


Dans la langue arabe, “Maghreb” et “s’expatrier” ont la même racine. Une appartenance qui semble annoncer pour certains artistes la couleur de leur destin et de leurs œuvres. C’est le cas d’Amel Benaoudia, artiste graphique franco-algérienne, arrivée en France dans les années 2000 à l’âge de 10 ans, et de Hedi Ladj, artiste graphique lui aussi, Tunisien de passage à Paris, depuis 2008. Deux jeunes artistes maghrébins en diaspora.


Si traditionnellement l’exil est perçu comme relatif au malheur et aux regrets (1), il peut aussi s’avérer être l’ouverture d’un espace des possibles. S’éloigner pour essayer, échouer ou réussir, évoluer pour tout simplement vivre. Comme l’évoque Hedi Ladj, à cheval entre Tunis et Paris, quitter la Tunisie, c’est être “loin du ventre de la mère”. Partir comme une nécessité, pour mûrir, à la fois soi-même, mais aussi son univers et ses œuvres.


 


“Je finis toujours par y retourner”


Artistes maghrébins en mouvement, sans faire d’aller simple, traversant la Méditerranée, mais multipliant les allers et les retours. Amel Benaoudia compare dans son exil la relation qu’elle entretient avec l’Algérie à un aimant. L’aimant non pour sa force de répulsion, mais bien au contraire pour sa qualité d’attraction, une attraction qui, pour elle, est constante. Et quand elle nous dépasse, on y revient, “je finis toujours par y retourner”, confie la jeune artiste. Surtout que Paris n’est qu’à deux grosses heures d’Alger, et reste une destination à moindre coût. Il est sûr que la condition diasporique a bien changé depuis les premières migrations et immigrations maghrébines. En plus de l’amélioration des transports, devenus bien meilleur marché, les réseaux de communication logiciels de messagerie instantanée et de visiophonie, les réseaux sociaux… ont permis de changer la donne.


Les allers-retours demeurent toutefois plus faciles à écrire qu’à réaliser, surtout lorsque l’on ne naît pas avec la bonne nationalité, les bons papiers… Hedi Ladj, Tunisien en France, en a pleinement conscience. Ladj est son pseudo d’artiste, son véritable patronyme c’est Ladjimi. “Ladjimi”, que l’on peut traduire en français, par l’“étranger” ou, pire encore, par le “barbare”. Un vocable lourd de sens quand on est en diaspora. Ladj mène dans ses montages des réflexions sur cette position administrativement inconfortable. Si notre monde était tout autre, plus juste, plus humain, peut-être que ceux qui aujourd’hui pâtissent de ces aléas administratifs ne les subiraient plus. Ils pourraient simplement vivre. Parce que pour beaucoup, l’aller se fait sans retour. A l’instar de ces migrants qui se noient en Méditerranée, le départ est à la fois un risque de perdre la vie dans les abysses et une chance de vivre avec plus dignité. Dans la vidéo d’Hedi Ladj, Abysses-01, une Maghrébine demande si avec un passeport la traversée sera plus facile. Et se dit prête à se jeter à la mer s’il le fallait. Partir parce que la terre mère est moins avenante, plus inquiétante encore que la mort elle-même.


Le monogramme “LV” de Louis Vuitton, qui orne babouches, voilettes et djellabas dans les mises en scène glamour de Hassan Hajjaj, figure majeure de l’art contemporain maghrébin et membre lui aussi de cette diaspora, apparaît chez Hedi Ladj sur un gilet de sauvetage. La survie se transforme en un produit de luxe difficile d’accès.


 


Un travail de mémoire aussi


Mais lorsqu’on quitte son pays, ce n’est jamais pour toujours. Dans l’acte du départ d’une terre pour une autre, il ne s’agit pas simplement de remplacer une mère-patrie primordiale par une autre. Laquelle devient adoptive et peut se révéler une désillusion, bien moins tendre et protectrice que ne l’est le pays maternel. Si on le quitte physiquement, il s’ancre en demeurant en nous. Amel Benaoudia rapporte : “Je n’en suis jamais vraiment partie en fait.” Elle porte, transporte avec elle, des fragments de son enfance algérienne. Il y a le travail de la mémoire, les mots posés sur les images, des images sur les mots, des photographies que l’on devine familiales, comme une volonté de se souvenir et, surtout, de ne jamais oublier. Vivre, créer, aller et venir, mais pas seulement entre la France et son Algérie natale.


 


Faire l’expérience du monde


Le pays de son enfance la suit même lorsqu’elle travaille à partir de ses photographies réalisées en Corée du Sud. Dans son imaginaire, les rues de Séoul font face à celles d’Alger ; dans ses yeux, les imposants immeubles de la capitale sud-coréenne qui transpercent le ciel sont semblables aux symboles anguleux qui ornent les poteries et les tapis kabyles. Pour appréhender ce monde inconnu, ou pour le moins mal connu, Amel Benaoudia fait appel à la première terre qu’elle a foulée, celle qu’elle connaît depuis toujours.


Amel Benaoudia et Hedi Ladj affirment et acceptent d’aller et venir. A mesure qu’ils vont et viennent entre les territoires, faisant l’expérience du monde, de ces mondes qui cohabitent bien souvent, et alors que continuent de s’ériger des frontières imaginaires, ils piochent, recueillent, collectent, ici et là, pour, en définitive, façonner leur propre monde, à savoir leurs propres œuvres.


LA SUITE DE LA SERIE ARTS : ART CONTEMPORAIN


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Abdelkader Kherfouche