Meriem Derkaoui, au nom du peuple

 Meriem Derkaoui, au nom du peuple

Crédit photo : Bertrand Guay/AFP


LA SERIE POLITIQUE : LA GAUCHE ET LA BANLIEUE


Cette militante communiste née à Saïda, en Algérie, est, depuis 2016, la première femme d’origine maghrébine aux commandes d’un des plus anciens bastions de la ceinture rouge, à Aubervilliers, en Seine Saint-Denis. Portrait d’une femme de terrain sans langue de bois, qui œuvre localement pour une “majorité devenue invisible”. 


MAGAZINE NOVEMBRE 2017


Meriem Derkaoui est une figure de l’engagement comme on n’en voit plus, ou presque. Profondément humaniste, cette militante communiste de 62 ans a les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité chevillées au corps. Elle refuse les postures, partage ses convictions avec une générosité authentique et une gouaille qui ne connaît pas la langue de bois.


La liberté d’expression, elle y tient plus que tout, elle qui a dû fuir son pays, l’Algérie, qui pratiquait la chasse aux sorcières, alors qu’elle militait activement au Parti communiste sur les bancs de la fac de droit à Oran, puis à Alger. Plus tard, alors qu’elle est fonctionnaire à la Sécurité sociale, elle tombe sous le coup de l’article 120 des statuts du FLN qui interdisait d’adhérer à une organisation autre que le Front national de libération. Elle s’exile donc en France avec mari et enfants pour poursuivre le combat autrement.


Installée en Seine-Saint-Denis, elle intègre des associations franco-algériennes et lutte pour le droit des femmes. En 1997, après des années de démarches, elle obtient la nationalité française. Et c’est en 1999 que le Parti communiste français (PCF) – qui cherche des militants issus de “la société civile” – vient à elle pour rejoindre la liste “Bouge l’Europe” conduite par Robert Hue, alors président du mouvement. “C’est ainsi que dix ans après avoir quitté le PC de mon pays, j’ai rejoint la fédération communiste de Seine-Saint-Denis…”, souligne-t-elle.


 


La responsabilité de plus de 82 000 habitants


Etre utile, agir, tel est son credo. Et pour le mettre en œuvre, il faut bousculer les idées reçues et se frayer un chemin. En 2000, Meriem Derkaoui devient maire-adjointe déléguée aux sports à Aubervilliers sous la mandature du communiste Jack Ralite. “A cette époque, Marie-Georges Buffet (PCF, ndlr) était ministre de la Jeunesse et des Sports du gouvernement Jospin. En tant que féministe et sportive, je trouvais le symbole fort.”


En 2008, Aubervilliers tombe entre les mains des socialistes, mais six ans plus tard, le PCF récupère son bastion et Meriem Derkaoui gravit de manière inattendue une autre marche en 2016 : elle devient maire de la commune après la démission de Pascal Beaudet (élu en 2014), plébiscitée par 41 voix sur 49. Cette élection est pour elle une formidable occasion d’agrandir son champ d’action afin de lutter contre les inégalités et les exclusions. “Jamais je n’ai pensé ‘carrière’ politique, clame-t-elle avec un naturel désarmant. Je suis une 

citoyenne indignée qui porte et défend des valeurs. J’ai aujourd’hui la responsabilité d’une ville de plus de 82 000 habitants, dont 40 % vit dans la précarité. C’est dire si le travail à mener l’emporte sur les postures ou autres ambitions personnelles ! Ici, la lutte pour le logement, l’éducation ou l’accès aux soins, ce n’est pas une belle idée pour convaincre l’électorat : c’est du concret, au quotidien !”


 


Une tribune contre les pratiques de Mélenchon


Meriem Derkaoui le concède volontiers : “Le PCF souffre aujourd’hui d’une image du passé, ringarde, stalinienne, alors que la réalité de nos actions locales est bien loin de ces vieux poncifs. Un renouveau n’est pas impossible.” Mais quand on aborde la question de la gauche dans son ensemble, sa voix se fait plus grave. Elle déplore cette guerre fratricide avec le Front de gauche, qui, selon elle, a divisé et gâché un élan porteur. Celle qui a parrainé “les yeux fermés” la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle regrette de constater aujourd’hui que les postures l’ont, au final, emporté sur les valeurs communes. “Lorsqu’un candidat de la France insoumise s’est présenté aux législatives face à nous à Aubervilliers, j’ai écrit à Jean-Luc Mélenchon via une tribune dans Le Monde pour m’insurger contre ce genre de pratiques qui nous fait perdre en efficacité sur le terrain.”


Meriem Derkaoui porte un regard encore plus sévère sur le Parti socialiste (PS) : “L’abandon des classes ouvrières, populaires, a commencé insidieusement sous François Mitterrand. Mais il a connu son apogée quand le PS s’est figuré que s’occuper des pauvres était une perte de temps : ils ne votent pas, ne font pas avancer la société, ne structurent pas la pensée… C’est ainsi que s’est installé un certain mépris du peuple façon ‘cachez ces pauvres que je ne saurais voir’ !, souligne encore sans concession la maire d’Aubervilliers. Et puis, persuadés que la France se gouverne au centre et à droite, les socialistes ont clairement viré de bord en délaissant une fois pour toute la classe populaire.”


 


“Le PS fait alliance avec les plus aisés”


Pour Meriem Derkaoui, le fossé s’est irrémédiablement creusé avec le discours de Manuel Valls sous le gouvernement Hollande. “A partir du moment où le PS a clairement assimilé les droits sociaux à de l’assistanat, les ponts étaient rompus ; le parti cherche désormais à faire alliance avec les classes moyennes supérieures et les plus aisés…” Le seul qui trouve grâce à ses yeux ? Benoît Hamon, qui incarne encore chez les socialistes cet esprit d’une gauche solidaire et juste. “Mais il suffit de voir la façon dont il a été atomisé à la présidentielle”, tempère-t-elle.


Qui s’occupe alors de la classe ouvrière et de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Pour Meriem Derkaoui, la réponse tombe sous le sens : “Nous, le Parti communiste, nous continuons à aider ceux qui en ont le plus besoin, de manière locale, concrète… En dehors de ça, personne ! Même si le FN tente de récupérer des votes de petites gens en colère.”


Face à cette double injustice, la Franco-Algérienne se concentre sur sa mission au service de sa commune. Une ville qui a de l’avenir, avec, notamment, l’arrivée du campus universitaire Condorcet (futur pôle majeur des sciences sociales et humaines en Europe) et les stations du Grand Paris Express (futur métro automatique du Grand Paris)… “Mais nous lutterons contre la gentrification et les spéculations immobilières, assure l’éternelle militante. Aubervilliers ne changera pas de couleur !” 


La suite de la Série Politique : La gauche et la banlieue


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Alexandra Martin