Le faux-plan Trump en Palestine

Donald Trump et Benyamin Netanyahou à la Knesset, à Jérusalem, le 13 octobre 2025. Présenté comme un accord de paix, le « plan Trump » a été perçu par de nombreux observateurs comme renforçant l’alliance entre Washington et Tel-Aviv, au détriment des aspirations palestiniennes. (Photo : Evan Vucci / POOL / AFP)
Le cessez-le-feu adopté le 9 octobre a permis l’échange de prisonniers palestiniens et israéliens. Mais l’armée israélienne a continué à frapper la population de Gaza, en toute impunité. Et la reconstruction promise par le « plan Trump » est totalement imprégnée de pensée impérialiste.
Par Emmanuel Riondé
Maria Corina Machado, cette figure de la droite radicale vénézuelienne récipiendaire, le 10 octobre, du prix Nobel de la paix, a eu beau lui dédier son prix pour « son soutien décisif à [sa] cause », cela n’a pas suffit : Donald Trump a été vexé comme un enfant colérique de ne pas avoir eu le Nobel, contrairement à Barack Obama en 2009. C’est en partie pour atteindre cet objectif qu’il avait poussé son « plan de paix pour Gaza » les semaines précédant la remise du prix, avec l’appui de son service communication le présentant comme « The peace president » sur les réseaux sociaux. Sans convaincre, donc, le jury norvégien.
Pour autant, ce plan dévoilé dans la foulée de l’Assemblée générale des Nations unies marquée par l’annonce de la reconnaissance de l’Etat de Palestine par plusieurs pays, dont la France, a été largement salué comme l’initiative mettant fin à la « guerre ». Une guerre génocidaire conduite par le gouvernement et l’armée israélienne qui, en deux ans, ont fait plus de 160 000 blessés et tué près de 70 000 Gazaouis, dont 30 % de moins de 18 ans, selon les chiffres du ministère palestinien de la Santé jugés fiables par l’ONU. Et ce avec le soutien constant des Etats-Unis représentés successivement dans cette période par les administrations Biden puis Trump.
Après la mise en place, le 9 octobre, du cessez-le feu, suivi par la libération de prisonniers israéliens (les otages) et palestiniens, le sommet international qui s’est tenu le 13 octobre à Charm-El Cheikh en Egypte a été une forme de couronnement pour Donald Trump. Entouré d’une bonne partie des dirigeants de la planète, entre une allusion sexiste à la « beauté » de Giorgia Meloni et des piques vachardes pour Emmanuel Macron et Keir Starmer, il a ce jour-là affirmé, en toute modestie, qu’« il avait fallu trois mille ans pour en arriver à cet instant ».
Beaucoup, comme bluffés par la doctrine trumpienne du « deal », ont salué son « approche hors norme de la diplomatie » (Le Monde), son « pari gagnant » (Le JDD) ou son « grand succès diplomatique » (New York Times).
Difficile pourtant d’ignorer la dimension profondément impérialiste du texte. « Le plan de Trump envisage la création d’un nouveau mandat international, encore une fois sous commandement britannique et, comme jadis, élaboré sans consultation avec la population palestinienne », résume le diplomate américain Robert Malley dans une tribune publiée par Le Monde du 5 octobre. Soixante dix-huit ans après le plan de partage du 29 novembre 1947, qui a permis la création d’Israël et signé le début de l’occupation de la Palestine, cette dernière n’en a pas fini avec le colonialisme occidental.
La façon dont le plan a été imposé par le président des Etats-Unis est déjà bavarde. A peine l’avait-il mis sur la table que Donald Trump menaçait de laisser Israël « finir le boulot » à Gaza si le Hamas refusait de le signer. Une manière d’imposer au forceps une solution pensée et construite sans les Palestiniens et au bénéfice de la puissance occupante, qui a d’ailleurs validé : le 13 octobre, devant le Parlement israélien, Benyamin Netanyahou a qualifié Donald Trump de « meilleur ami qu’Israël ait jamais eu à la Maison Blanche ». On le comprend : absolument rien, dans les 20 points que compte le plan (dont le média Le Grand Continent propose cette traduction en français), n’est de nature à contrarier le projet israélien d’expansion coloniale sur l’ensemble de la Palestine.
En premier lieu, il ne fait aucune mention de la Cisjordanie où la situation s’aggrave de semaine en semaine. Le 20 août, le gouvernement israélien a approuvé le projet E1 qui coupe le territoire en deux et parachève l’isolement de Jérusalem-Est, rendant impossible toute continuité territoriale. Le 11 septembre, en visite à la colonie de Maale Adoumim pour le lancement des travaux, Benyamin Netanyahou a été clair : « Nous allons tenir notre promesse : il n’y aura pas d’État palestinien ; cet endroit nous appartient ». En incluant Jerusalem-Est, environ 3,2 millions de Palestiniens et près de 600 000 colons, dont une bonne partie de messianistes juifs ultra-racistes et armés, vivent en Cisjordanie, où la colonisation a spectaculairement accéléré depuis le 7 octobre 2023. En mai dernier, le gouvernement a donné le feu vert à l’établissement de 22 nouvelles colonies. Et selon l’Ong israélienne Peace now, le nombre d’avant-postes, ces implantations israéliennes « sauvages » (c’est à dire non autorisées officiellement mais, de fait, tolérées et donc avalisées par le gouvernement) est passé de 6,8 par an entre 1996 et 2022 à 50 par an depuis 2023. Mais pas un seul mot à ce sujet dans le « plan Trump pour la paix».
En revanche, la façon dont ce plan esquisse l’avenir de la bande de Gaza en dit très long sur la permanence de la pensée coloniale. Le point 9 du document annonce ainsi la mise en place d’un « Conseil de la paix (…) dirigé et présidé par le président Donald Trump, avec d’autres membres et chefs d’Etat (…), dont l’ancien premier ministre Tony Blair ». Le 2 novembre 1917, c’est un britannique, lord Balfour, secrétaire au foreign office, qui avait fait cette promesse désastreuse pour l’avenir des palestiniens: « le gouvernement de sa majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif (…) ». Un siècle plus tard, c’est encore un anglais qui va contrôler ce qui se passe sur la terre de Palestine, entre temps ravagée par 78 ans d’occupation israélienne. Une perspective dont la charge n’est pas que symbolique. Ce « comité de la paix » supervisera « un comité palestinien technocratique et apolitique, chargé d’assurer le fonctionnement quotidien des services publics et des municipalités » à Gaza. Au colon, les clefs de la maison, au colonisé, le balai pour la nettoyer.
Sur le papier, la tutelle occidentale n’est que transitoire : ce comité de la paix « établira le cadre et gérera le financement du redéveloppement de Gaza jusqu’à ce que l’Autorité palestinienne ait achevé son programme de réformes (…) et puisse reprendre le contrôle de Gaza de manière sûre et efficace. » Condensé de cauchemar ultralibéral servi par une sémantique infantilisante, le point 10 donne une idée de ce qui sera mis en œuvre au cours de cette transition. On y apprend qu’un « plan de développement économique (…) sera élaboré [avec] un groupe d’experts qui ont contribué à la création de villes modernes florissantes du Moyen-Orient » et que « des idées de développement enthousiasmantes (…) élaborées par des groupes internationaux bien intentionnés (…) » créeront « un cadre de sécurité et de gouvernance pour attirer et faciliter ces investissements. » Le tout, précise le point 11, dans une « zone économique spéciale (…) avec des tarifs douaniers et des taux d’accès préférentiels qui seront négociés avec les pays participants. » La Riviera un temps fantasmée par Trump cède donc la place à une zone franche mise dans les mains de compagnies, probablement occidentales ou du golfe persique.
A cette accaparation des ressources économiques s’ajoute la neutralisation politique et militaire de l’ensemble du mouvement palestinien de libération nationale : « Le Hamas et les autres factions acceptent de ne jouer aucun rôle dans la gouvernance de Gaza, directement, indirectement ou sous quelque forme que ce soit. Toutes les infrastructures militaires, terroristes et offensives (…) seront détruites (…) » est-il indiqué au point 13. Une « Force internationale de stabilisation (ISF) temporaire » sera déployée qui « formera et soutiendra les forces de police palestiniennes autorisées à Gaza, et consultera la Jordanie et l’Egypte (…). L’ISF travaillera avec Israël et l’Egypte pour aider à sécuriser les zones frontalières (…) »
Ce sont donc les pays de la région ayant signé des traités de paix avec Israël et alliés de longue date de Washington qui assureront la « sécurité » de la bande de Gaza. Avec des forces palestiniennes « approuvées », c’est à dire des milices supplétives, au service d’une « nouvelle Gaza (…) [qui] s’engagera à bâtir une économie prospère et à coexister pacifiquement avec ses voisins. » CQFD. Le droit international n’apparaît pas une seule fois dans le texte où les Nations-Unies ne sont évoquées que pour distribuer de l’aide humanitaire.
Pulvérisation de ce qui restait de multilatéralisme, affirmation d’un nouvel impérialisme sauce start-up à la violence assumée : lors de son intervention devant la Knesset, Donald Trump, vantant son plan, s’est adressé à Benyamin Netanyahou en ces termes, rapporte Le Monde du 14 octobre : « Bibi, on se souviendra bien plus de toi pour ça que si tu avais continué comme ça, encore et encore, à tuer, tuer, tuer ». Mais de quoi se souviendra-t-on au juste ? Les silhouettes de la « reconstruction » qui émergent des torrents de sang qu’Israël a fait couler dans l’enclave depuis deux ans laissent présager du pire.
>
