“L’islamophobie est un facteur de démobilisation électorale”, Samir Hadj Belgacem

 “L’islamophobie est un facteur de démobilisation électorale”, Samir Hadj Belgacem

Eric Beracassat / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Interview avec Samir Hadj Belgacem sur la démobilisation électorale des Franco-Maghrébins, qui selon le directeur du département de sociologie de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, sont de plus en plus lassés par les partis politiques et l’islamophobie qui gangrène à nouveau la campagne.

 

Y-a-t-il un vote maghrébin identifié lors des élections en France ?

“L’islamophobie est un facteur de démobilisation électorale”, Samir Hadj Belgacem
Samir Hadj Belgacem, directeur du département de sociologie de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne

Si on suit les principaux résultats, notamment en sciences politiques, on n’a pas identifié un vote maghrébin. Pour les enquêtes qui ont pu aborder ce sujet de manière indirecte sur les préférences électorales auprès d’échantillons particuliers, des descendants d’immigrés par exemple, ce n’est pas quelque chose qui est apparu. On constate une diversité des bulletins, plutôt qu’une tendance extrêmement claire, organisée et pérenne.

Une enquête a été menée par Vincent Tiberj sur le vote des descendants d’immigrés, plutôt maghrébins ou subsahariens, qui montre une légère tendance à voter plus à gauche qu’à droite. Rarement vers les extrêmes. Mais ce n’est pas si net et tranché que ça.

 

Les électeurs franco-maghrébins votent-ils en fonction des prises de position des candidats sur des sujets comme l’immigration, l’Islam ou la laïcité ?

Evidemment, cela peut influencer. Mais il ne faudrait pas surinterpréter le discours de chaque candidat comme un appel ou un clin d’œil à une communauté. Les électeurs ne sont ni bêtes ni naïfs. Ils comprennent assez bien ce jeu-là.

Les descendants d’immigrés maghrébins ou autres sont plus sensibles aux questions politiques, économiques, sur le pouvoir d’achat, plutôt qu’à ces petites manœuvres, parfois plus familières des candidats conservateurs que de la gauche au niveau national. Même si elle dit s’y refuser, la gauche pratique également au niveau local cette politique un peu clientéliste, de segmentation de l’électorat.

Les politiques devraient apporter une offre générale qui vise le sort des classes moyennes, par exemple, mais ils préfèrent découper, avec une approche communautaire. Les premiers pourfendeurs du communautarisme et du séparatisme sont les mêmes qui pratiquent le clientélisme. Ils cherchent à conquérir des voix en catégorisant les gens.

 

Les candidats ont-ils tendance à se positionner en fonction de cette réserve de voix ?

Si on regarde bien, cette réserve ne fait pas la différence, sauf si l’élection est très serrée. Il suffit de regarder le climat islamophobe actuel : aucun candidat ne prend vraiment le pari de bâtir une contre-proposition. Tout le monde reste dans une tendance : a minima, la droite est islamophobe et la gauche ne dit rien. Sur une question comme ça, la neutralité n’est pas une prise de position. Seule la France insoumise a dénoncé l’islamophobie ambiante dans cette campagne présidentielle. Ca reste peu.

 

Pourquoi aucun parti ou presque ne prend position sur la question de l’islamophobie ?

Parce que les partis estiment que l’extrême droite a gagné la bataille culturelle là-dessus et donc que ça ne peut plus être un sujet de campagne. Trop clivant, il risque de faire fuir les électeurs. On a eu le même réflexe il y a vingt ans avec le Front national.

Aujourd’hui cela recommence. On est prisonnier, car le champ médiatique est favorable à ces débats islamophobes. Si certaines positions étaient considérées comme extrêmement scandaleuses, on n’en serait pas là. Quand on voit que les débats d’aujourd’hui se résument à inviter de pseudo-intellectuels, des universitaires qui se réclament de titres qu’ils n’ont même pas et qu’on leur offre un temps d’antenne au lieu de recevoir des gens qui travaillent sur le terrain depuis des années. C’est symptomatique.

 

Pourtant, cette communauté, importante dans l’Hexagone, peut peser sur le scrutin…

Son poids est extrêmement relatif. Lors des municipales, on a jusqu’à 70 % d’abstention dans certains quartiers populaires. On ne peut pas dire qu’il y a une énorme réserve de voix, et certains partis pensent ainsi. Pourquoi perdre des électeurs pour en gagner quelques autres, dont on n’est pas sûr qu’ils feront la différence. Concernant les Maghrébins, il y a une vraie interrogation des hommes politiques. Les nationalistes préfèrent taper sur les étrangers, les musulmans, comme des boucs émissaires responsables des déboires de la nation. Les autres se taisent.

 

L’abstention n’est-elle pas la conséquence d’un climat délétère et islamophobe, qui entraîne la démobilisation électorale franco-maghrébine ?

Bien sûr. Le climat islamophobe est un facteur de démobilisation électorale. Lors des dernières échéances de 2020, par exemple, il y a eu bien moins de candidatures de Franco-Maghrébins qu’aux municipales de 2014. Aujourd’hui, pour un candidat identifié comme descendant d’étrangers, c’est encore plus difficile de s’imposer. Les désillusions politiques ont contribué à accroître la démobilisation électorale. Les enfants d’immigrés et plus largement les habitants des quartiers populaires sont marqués par l’absence d’enjeux en leur direction.

 

Peut-on parler de réseaux maghrébins des candidats ?

Je n’ai pas identifié de réseaux récents créés pour la présidentielle. Il y a toujours des militants dans les quartiers ou dans les partis qui cherchent à mobiliser. En France, ça se fait de manière beaucoup plus informelle, alors qu’aux Etats-Unis, c’est beaucoup plus public et ouvert. On n’hésite pas à dépasser la seule question du réseau interne. On cherche à faire des centres d’appels. En France, lors des élections, plus locales que pour la présidentielle, il y a des réunions de quartiers, des appels, des SMS. Mais aujourd’hui, l’important, c’est de mobiliser les réseaux sociaux.

 

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Jonathan Ardines