Notre sélection de livres du mois de Janvier 2018

MAGAZINE JANVIER 2018

Ce sont les conflits de territoires, les oppositions culturelles, philosophiques et théologiques qui relient notre sélection du mois.

La pièce impossible

C’est l’histoire d’un pari fou : monter à Jérusalem une pièce de théâtre livrant à la fois les souffrances du peuple palestinien et celles du peuple juif. La Nakba et la Shoah dans un même texte. Pour cette audacieuse entreprise, le dramaturge d’origine algérienne Mohamed Kacimi vient prêter main-forte à Adel Hakim, l’auteur et co-directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, lui-même égypto-libano-italien, disparu le 29 août dernier, deux jours avant la publication de cet ouvrage. Les rôles sont attribués à des acteurs palestiniens ou israéliens. Mais le conseil d’administration du Théâtre national palestinien, où la pièce doit être jouée, refuse : “Seuls des Palestiniens peuvent écrire sur la Palestine.” Rien ne va plus. Hakim et Kacimi résistent aux pressions et Des roses et du jasmin sera finalement présentée à Jérusalem, en dépit des blocages. Mohamed Kacimi raconte d’une plume alerte les coulisses de cette aventure artistique et humaine.

JOURS TRANQUILLES À JÉRUSALEM Mohamed Kacimi, Riveneuve éditions, 168 p., 15 €.

Ibn Rochd livré au bûcher

Les Occidentaux le connaissent depuis le Moyen Age sous le nom d’Averroès. Pour les Arabes, il était Ibn Rochd. Tout comme Avicenne, que Gilbert Sinoué a contribué à faire connaître aux lecteurs francophones il y a trente ans, Averroès offre une ligne de vie idéale pour un romancier. De sa naissance à Cordoue, en 1126, à sa mort à Marrakech, à l’âge de 72 ans, le philosophe et théologien a connu la gloire puis la réprobation. Musulman, il prône le recours aux sciences profanes. Inspiré par Aristote, il bâtira une œuvre qui essaimera à travers toute l’Europe, et longtemps après sa mort. Mais au raffinement de sa pensée, répondra l’intolérance de ses contradicteurs qui le qualifieront d’hérétique : “Non seulement cet individu professe des doctrines qui vont à l’encontre de la foi, mais il soutient l’idée que la vérité religieuse et la vérité philosophique sont unies par un lien de parité.” Dans ce livre, l’auteur restitue la vitalité intellectuelle du monde arabe au XIIe siècle.

AVERROÈS OU LE SECRÉTAIRE DU DIABLE Gilbert Sinoué, Fayard, 304 p., 20,90 €.

Destins arabes

Des milliers de reportages ont été publiés sur la guerre en Irak de 2003, sur Gaza aussi, le Liban ou la Syrie. Mais, avec ce recueil de nouvelles, au travers d’histoires où chacun apparaît dans sa vérité nue, Akram Belkaïd offre un autre regard sur ces conflits, un portrait sensible du monde arabe comme on en lit peu dans la presse. A Bagdad, un couple vit l’impensable : “Ton fils a peur. Tout ce fracas lui fait du mal. Il doit s’habituer. Plus il entendra les bombes et moins il en aura peur.”La guerre est dans la tête des héros de ce livre : un terroriste marocain, un médecin algérien, un poète syrien… Malgré les conflits, le fil conducteur de ces destins individuels reste la poésie, qui finalement relie tous les pays arabes entre eux. Un recueil inspiré et inspirant, écrit par un auteur qui connaît intimement les pays dont il parle. Comme Tchekhov ou Henry James, Akram Belkaïd démontre une fois de plus le pouvoir de la fiction sur le réel.

PLEINE LUNE SUR BAGDAD, Akram Belkaïd, éd. Erick Bonnier (juin 2017), 240 p., 20 €.