Loubnaa Al-Haddad vise plus de diversité et de parité dans le numérique

 Loubnaa Al-Haddad vise plus de diversité et de parité dans le numérique

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Irakienne de père, algérienne de mère et française de cœur, la cadre supérieure de la start-up Celonis, spécialisée dans l’intelligence artificielle, se fraye son bonhomme de chemin dans les hautes sphères de la tech. Un milieu qui est pourtant particulièrement masculin ! Accompagnée d’une centaine de professionnels du secteur, elle lance le think thank Egalitech qui vise à mettre en place plus de diversité dans le numérique.

Il est des dates dont on se souvient. Encore plus quand celle-ci marque la fin de l’innocence et de l’enfance ! La vie de Loubnaa Al-Haddad bascule le 2 août 1990. Alors âgée de 13 ans, son pays, l’Irak envahit le Koweït. Issue d’un milieu social bourgeois intellectuel et très francophile (père universitaire et mère sage-femme), la famille se retrouve alors dans un 25 mètres carrés dans les Hauts-de-Seine. Les cafards s’invitent en voisins et leur monde s’effondre. « Nous étions en vacances en France quand tout a démarré. Nous nous sommes retrouvés avec nos valises en carton. On a été obligé de refaire toute notre vie. Du jour au lendemain, on peut tout perdre en une fraction de seconde »

Cette épreuve construira sa rage de vivre et sa volonté de relativiser la condition humaine. La « rescapée » se remémore pourtant une enfance partagée entre l’Algérie, la France et l’Irak qui reste chère à son cœur. « Ce sont mes plus belles années, indique Loubnaa Al-Haddad. Malgré la guerre entre l’Iran et l’Irak, c’était un pays laïc loin des scissions religieuses ou communautaires et avec des femmes au pouvoir. J’y aurais vécu toute ma vie sans la guerre.»

Déterminée, Loubnaa se voit docteur ou avocate. Des métiers où elle pourrait guérir, aider et se rendre utile. L’envie de devenir fonctionnaire à l’ONU la taraude pour contribuer fièrement à la reconstruction de son pays, qui a connu depuis son départ guerre, embargo, famine, privations, invasion et guerre civile. Finalement, elle choisi d’embrasser une carrière dans le privé

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Vendre des glaçons à un esquimau !

Toujours en mouvement, pour financer ses études, elle vend. D’un naturel sociable, la brune polyglotte à l’écoute empathique excelle dans la relation avec les clients. « Je serais capable de vendre du sable dans le désert, indique Loubnaa Al Hadad dans un éclat de rire entrainant. J’ai démarré avec des modes et déco, des gadgets. J’aimais le challenge pour atteindre mes quotas. Dans l’acte de vente, il y a du rapport humain. Il faut convaincre, négocier. On peut connaître l’échec mais il faut l’apprivoiser.»

Après son DESS de droit européen et international à la Faculté de Sceaux, elle intègre un cabinet d’avocat prestigieux, Hughes Hubbard & Reed LLP. Elle y restera deux ans. Le temps pour elle de se former en parallèle au marketing et au management opérationnel. Par hasard, elle se présente pour un entretien dans un domaine dont elle ignorait encore tout des arcanes: le numérique.

Intégrant Siebel, spécialiste de la relation client, Loubna Al-Haddad se retrouve, étonnamment, après 12 entretiens en 3 langues, à la direction des ventes de la formation de toute l’Europe du Sud, suite au départ de son directeur commercial. En 3 ans, elle réussira à développer son talent de vendeuse au point de se rendre indispensable. Au rachat en 2006 de la société par le géant du logiciel américain, Oracle, elle gère pour le groupe les ventes de l’ensemble des produits applicatifs.

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L’univers masculin de l’intelligence artificielle

Là où d’autres se seraient contentés d’un statut confortable et d’une place en or, Loubnaa Al-Haddad n’est pas du genre à procrastiner en charentaises. Elle se jette dans les bras de Winshuttle en 2014, une société d’automatisation des processus métiers. Dans la foulée, elle monte la filiale pour l’Europe, d’une start-up Israélienne rachetée 2 ans plus tard par Qlik, une entreprise spécialisée dans les logiciels de business intelligence. « C’est le challenge qui me motive. Je me suis intéressée à la technique dans un milieu très masculin. La solution est relayée au deuxième plan. A partir de ma deuxième année dans l’entreprise, je suis devenu numéro 1 en tant que commercial monde.»

Cloud, informatique en nuage, analyse de données… Des mots rébarbatifs mais qui cachent une réalité d’importance capitale. L’intelligence artificielle est partout et le sera encore plus demain. Souvent chassée pour ses qualités de vente et son réseau,

Loubnaa Al-Haddad intègre en 2020, Celonis, leader mondial du process mining avec pour client des entreprises dont certaines du CAC40. « Dans ce domaine, le cadre et l’humain représente un point important de mon envie de participer à une entreprise. J’ai appris à grandir spirituellement dans ses sociétés. On se demande parfois si ce que l’on fait a un sens. N’oublions pas que les algorithmes, créés par des petits cercles d’hommes occidentaux, vont avoir un impact sur nos vies. Elles se doivent de prendre en compte nos différences, de tenir compte de notre patrimoine culturel ou génétique et d’être réajustées si le besoin s’en fait ressentir.»

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Egalitech, pour un virtuel plus vertueux

Consciente de sa chance, Loubnaa Al-Haddad a pu observer de près que le « monde de demain » de la « Start-up Nation » n’a rien d’une boite de crayons de couleurs. Le constat est flagrant : une faible proportion de femmes ou de personnes d’origines diverses. « Dans la vie réelle, une femme doit se battre plus qu’un homme. Dans la tech, c’est 10 fois plus vrai car nous sommes moins nombreuses. Nous n’avons que peu accès aux postes de management. Même en prouvant notre valeur, cela ne suffit pas toujours ! »

Accompagnée d’une centaine de salariés du numérique, elle décide de lancer le think thank Egalitech. Son crédo : promouvoir la diversité et la parité notamment dans les hautes sphères de l’univers digital.

A travers des séminaires et rencontres avec des leaders politiques et d’opinions, le think tank Egalitech crée un réseau d’horizons divers. « J’ai pu progresser en changeant de société et en vendant plus cher mes qualifications. C’est risqué car il faut réapprendre et se mettre en danger. L’embauche dans notre domaine est une affaire de réseau, qui fonctionne en cercles. Il faut faire partie du sérail. On ne donne pas assez sa chance à la méritocratie. Il y aussi des stratégies et des politiques qui peuvent empêcher les gens d’évoluer. Notre club à majorité féminine est ouvert à toutes les diversités. C’est un milieu que l’on doit investir.»

Mère de famille, cadre supérieure et désormais militante associative, cette bourreau de travail se réserve des moments pour sa passion cachée : le chant lyrique. Une passion pour les œuvres de Verdi et Puccini qui lui offrent le moyen de donner de la voix. Nul doute qu’on entendra encore parler dans le futur, de la voie tracée par Loubnaa Al-Haddad et les membres de plus en plus nombreux d’Egalitech.

A Vivatech, Conférence de presse le 17 juin 2021 à 11h00. Table ronde « Parité et Diversité » le 19 juin 2021 à 14h30

 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.