Interview Manque d’information et conditionnement social sont les principaux freins à la sexualité arabe

Peut-on, à l’aise, parler de sexualité dans notre monde arabe et musulman ou bien risque-t-on de susciter stupeur et tremblements?

Discuter de sexualité ou l’évoquer dans un livre en langue arabe, un film, a fortiori une pièce de théâtre, risquerait fort de heurter les personnes et leurs sensibilités, et ce quel que soit leur milieu.

La sexualité, faut-il le dire, reste ans notre région un tabou d dont l’évocation choque encore.

Pourtant sur la matière il y a à dire, et le sujet est important, voire décisif pour l’équilibre d’une personne. Aussi le fait d’en parler avec son partenaire notamment, le fait de se confier à un ou une amie, ou encore d’exposer le problème dont on souffre avec un médecin, pourrait libérer  les complexes s’il y en a, et avoir un effet thérapeutique.

Pour répondre à ces différentes questions qui nous taraudent, nous avons interviewé une femme arabe sexologue et thérapeute Dr Amal Chabach qui exerce au Maroc, et qui vient de publier un passionnant ouvrage sur la question (*).

 

 

– Comment peut-on être femme sexologue et thérapeute dans un pays musulman ?

-Quand j’avais pris ma décision d’étudier la sexologie à Paris en 1997, mon seul souci et mon unique objectif était d’aider les femmes à mieux vivre leur sexualité, à avoir la possibilité de consulter sans gêne une « autre femme » spécialisée et donc à pouvoir exprimer plus librement leurs malaises sexuels et parler ainsi plus facilement de leur intimité. L’époux marocain également est plus à l’aise si pour une quelconque mésentente sexuelle, il devrait lui ou sa femme consulter un sexologue femme, car sa virilité n’est point mise en péril et sa femme est « en sécurité » pour parler d’un sujet tabou.

Je travaille en toute conscience et avec un esprit ouvert et respectueux pour toutes ces personnes qui bravent des siècles de conditionnement culturel et transcendent leurs appréhensions et croyances inhibitrices pour venir seuls ou à deux pour essayer de trouver des solutions et vivre plus en harmonie.

– Quels types de patients recevez-vous ? Parlent-ils facilement ? Les hommes sont-ils bloqués face à une femme ?

-Mes patients ont changé avec le temps. Quand je me suis installée il y a 10 ans, je recevais surtout des hommes avec des difficultés sexuelles « urgentes  » qui exigeaient une prise en charge rapide, avec des résultats patents tels les dysfonctions érectiles. Les femmes venaient également consulter pour une problématique sexuelle telle que le vaginisme, lequel, non traité, pouvait amener à une dislocation familiale voire au divorce.

Depuis 4 ou 5 ans, de plus en plus de gens viennent consulter en couple pour une prise en charge d’une mésentente conjugale, une difficulté sexuelle de l’un ou de l’autre ou des deux, ou pour une amélioration de leur vie sexuelle (sortir d’une routine sexuelle, stimulation de leur libido, apprentissages d’orgasmes vaginaux, contrôle éjaculatoire…).

-Au bout d’une dizaine d’années d’exercice, avez-vous constaté une évolution du couple marocain ? Quelle différence y a-t-il selon vous avec le couple arabe ?

-C’est vrai que les hommes qui viennent consulter bravent plusieurs conditionnements et croyances culturelles très lourds. Plusieurs d’entre eux me rapportent que d’une part, ils se sentent plus à l’aise en face d’une femme sexologue car ils n’y a pas lieu de «comparer » leur virilité, par exemple devant un homme médecin, avec qui ils se sentiraient mal à l’aise. D’autre part, ils se sentent mieux écoutés et projettent inconsciemment l’image « maternelle » qui prend soin d’eux, de leurs souffrances, et comprendra mieux leurs demandes d’aide et leurs attentes.

-Est-ce que l’homme arabe comprend que la femme a des exigences sexuelles et les respecte-t-il ?

-Oui. Nous assistons à un changement en profondeur de l’homme arabe et de sa perception de la sexualité ainsi que de sa relation avec la femme en général. C’est un grand chamboulement en cours, qui prendra probablement plusieurs décennies mais la machine est en marche. Comme je l’ai dit ci-dessus, cela demande un grand courage de la part de l’homme et énormément de lucidité et d’amour de la part de la femme.

L’homme arabe réalise que s’il satisfait sexuellement sa femme, ils seront tous les deux «gagnants » et lui en premier. Car il ressent de la fierté et a plus confiance en lui et en ses capacités viriles lorsque sa femme est épanouie sexuellement. Plusieurs de mes patients hommes me disent que si leur femme est comblée, leur couple sera stable puisqu’elle ne risquerait pas d’être « tentée » ailleurs…Il se sent alors plus en sécurité, sûr de lui en tant qu’époux-amant, et non pas seulement en tant qu’époux-père.

– Quels sont les freins les plus fréquents à une sexualité épanouie ?

-Les principaux freins sont :

*le manque d’information (et l’absence de l’apprentissage social, éducatif, familial…) sexuelle et relationnelle Homme-Femme,

*le conditionnement social,

*les croyances culturelles

*et parfois l’interprétation erronée ou exagérée de concepts religieux concernant la sexualité et le rapport homme-femme.

-Quelles sont les différences entre catégories sociales, catégories professionnelles, tranches d’âges, origines: ville/campagne, berbères/arabes, par rapport à la sexualité ?

-Je reçois à mon cabinet de Casablanca toutes catégories professionnelles, sociales, âges…hommes et femmes confondus. Les demandes lors de la consultation en sexologie varient selon l’individu, allant de la prise en charge d’une éjaculation rapide, d’une anorgasmie, à une diminution du désir sexuel…

En général, les patients arrivant des campagnes ont des demandes de prise en charge sexuelle « urgentes » telles qu’un vaginisme ou un dysfonctionnement érectile, alors que ceux de la ville peuvent avoir des demandes pour une amélioration de leur activité sexuelle et un meilleur rendement sexuel en vue d’une satisfaction mutuelle.

Propos recueillis par Soufia Limam

 

Demain, suite et fin : les tabous dans la sexualité arabe

 

(*)Le couple arabe au 21ème siècle. Mode d’emploi. L’édition européenne vient de sortir en France.

Soufia Limam