La chronique du Tocard. Papa Gnouël

 La chronique du Tocard. Papa Gnouël


Pour faire plaisir à ses enfants et surtout pour qu'ils se sentent comme tous les autres gamins de leur âge, papa ramenait toujours, début décembre à la maison, de son boulot un sapin et ce, malgré le fait que chez les musulmans, on ne fête normalement pas Noël. Comme il bossait en tant que jardinier à l'hôpital de Montmorency (95), il n'avait aucun mal à en récupérer un tous les ans gratos. Pour l'acheminer à la baraque, c'était une toute autre histoire. 


Sans bagnole, parce que sans permis, propriétaire d'une vieille mobylette, une 102 orange qu'il avait achetée d'occasion à un de ses collègues, papa coinçait alors le sapin entre ses jambes et roulait tout doucement, de peur d'avoir un accident.


Déjà, tout de suite, en sortant de l'hôpital où papa bossait, il y avait cette longue descente interminable qui emmenait tout droit sur Épinay-sur-Seine (93), et parfois, surtout quand la chaussée était glissante, mon père n'avait pas d'autre choix que de se servir de ses pieds pour freiner. C'était assez rock n'raï comme façon de conduire mais papa aimait tellement ses enfants qu'il aurait pris tous les risques du monde pour mettre un peu de gaieté dans leur quotidien.   

Heureusement pour le daron, le sapin n'était pas énorme, juste un arbre de taille modeste qui ne prenait pas trop de place dans notre F5, pour le plus grand bonheur de ma mère qui n'aimait pas trop voir chambouler, même l'espace de quelques semaines, son chez soi. 

Bien avant le retour au bercail du daron, maman préparait tout de même un petit coin pour le sapin. C'était toujours au même endroit. Tout au fond de la salle de séjour, à droite du téléviseur noir et blanc et à gauche du canapé marron en cuir, où ma mère avait posé une couverture pour ne pas l'abîmer.


Ma mère le décorait toujours de la même manière, les mêmes boules et les mêmes guirlandes avec les mêmes lumières qui servaient chaque année pour l'arbre de Noël. 

Peu importe si au fil des années le matériel avait vieilli : maman faisait avec les moyens du bord et il n'était pas question d'investir dans de nouvelles décorations. Aucun de ses enfants ne se plaignait pour autant : nous avions appris à nous satisfaire du minimum, conscients de la chance d'avoir un sapin à la maison. Nous restions parfois de longues heures à le contempler avec l'interdiction de le toucher. 


Normalement, un sapin est fait pour qu'on y dépose des cadeaux, mais chez la famille Dendoune, le père Gnouël était dispensé de visite.  Pour ma part, j'ai été mis au parfum très vite, dès mes trois ans, je savais qu'il n'existait pas, bien avant donc tous les autres enfants de ma classe. Pour atténuer ma tristesse légitime de gamin haut comme trois petits Jésus, mes frangines m'avaient juste rappelé que Noël était juste une grosse arnaque commerciale, destinée à faire grossir les chiffres d'affaires des enseignes. Des explications que j'avais eu du mal à comprendre à mon âge. 


Nos cadeaux à nous, arrivaient toujours bien avant l'heure, à la mi-décembre, jamais le matin de Noël, comme c'est le cas pour tous les autres enfants. 


On avait tous droit à la même chose, tous les ans. Deux gros sacs en carton jaune remplies de chocolateries offert par le C.E du daron. Papa nous prévenait la veille  : "Demain soir, je vous ramènerai vos cadeaux". Le daron sortait en général du turbin vers 18h mais on préférait rester à la maison toute la journée et on guettait toutes les deux minutes son arrivée par la fenêtre. Ces chocolats suffisaient à notre bonheur. J'allais planquer les miens sous mon lit et pendant deux semaines, je les dévorais un par un. 


Une année, à l'école primaire Paul Langevin de l'Ile-Saint-Denis, à la rentrée de janvier, notre institutrice, une nana de province avec des longs cheveux et des longues jambes, avait cru bien faire en demandant à tous les enfants ce que le père Noël nous avait apportés. Tous avaient reçu des cadeaux matériels, parfois des choses hallucinantes, j'étais pas jaloux pour autant, chacun son bonheur.


Quand ce fut mon tour de parler, j'ai joué l'honnêteté sur toute la ligne, fier des chocolats de mon père. Ma réponse a fait rire toute la classe, surtout le fils de médecin qui m'a regardé de haut. J'avais envie de lui en coller une surtout quand il a roulé des mécaniques, en racontant qu'il avait eu droit, lui, au train électrique dernier modèle et que recevoir des chocolats ne pouvait pas être considéré comme un cadeau de Noël. 


A la récré, j'ai attendu qu'il soit seul dans un coin pour aller lui foutre mon poing sur la gueule. C'était ma première bagarre même si dans les faits, cela ressemblait plutôt à une agression en bonne et due forme, vu que le fils du toubib n'avait pas jugé utile de se défendre. 


Sans surprise, ma violence m'a valu quelques problèmes par la suite, une convocation de ma mère, agrémentée d'une punition, une peine aggravée notamment à cause de mon refus de présenter des excuses au gamin que je venais de cogner. Papa ne m'a pas engueulé, ni félicité par ailleurs mais je crois qu'il était un peu fier de moi.


D'ailleurs, je vous le dis comme je le pense mais jusqu'à ce jour, je n'ai jamais regretté d'un iota mon geste d'énervement parce que pour moi, on n'a jamais le droit de se moquer de la pauvreté des gens. 


Nadir Dendoune


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