Point de vue Tunisie- la révolution inachevée

Dès que fut connu le pitoyable départ du dictateur, toute la Tunisie a parlé de révolution. Aujourd’hui, faisons rapidement un point : y a-t-il eu révolution aboutie ? Force est de répondre par la négative. Il n’y a pas eu ce « changement brusque et en profondeur dans la structure politique et sociale de l’Etat ». Il n’y a pas eu de prise de pouvoir par ceux qui ont fait cette révolution sans leader.

Il n’y a pas eu de changement du système, des hommes, il n’y a pas eu d’épuration, pas de procès concernant les véritables crimes. Des hommes et des femmes de l’ancien système sont toujours aux commandes. Le président par intérim fut membre du bureau politique du RCD et président de la première chambre, il était donc un homme du système et à ce titre a pris part aux différentes réunions qui ont eu lieu au cours des jours qui ont précédé la fuite du dictateur.

Le général Rachid Ammar n’a pas pris de part active à la répression. L’armée s’était contentée de protéger des points fixes, bâtiments officiels et carrefours, sans jamais tirer sur la foule. Mais il a participé aux réunions de coordination au ministère de l’Intérieur et ce vendredi 14 janvier en début d’après midi, s’était vu confier les clés de la Tunisie, puisque le président déchu avait porté l’état d’urgence au niveau 3 (l’armée est directement responsable du maintien de l’ordre). Heureusement que le concours de circonstances et l’enchaînement des événements, avec le départ de Ben Ali, ont permis d’éviter un bain de sang.

Dans de multiples administrations publiques, on retrouve, on revoit les mêmes têtes. Par exemple, de nombreux Tunisiens résidant à l’étranger ont été choqués et nous l’ont confié, de revoir sur les écrans le même directeur général de l’OTE (Office des Tunisiens de l’Etranger), compromis avec l’ancien régime. Les têtes symboles du régime honni sont très visibles.

Sur le plan des affaires de malversations et corruption dans lesquelles sont impliqués les Trabelsi, où en est-on exactement ? Les Tunisiens ont l’impression que tout avance avec lenteur et ils se méfient à la fois de la justice et des interventions occultes qui pourraient empêcher que justice soit rendue.

Hormis la liberté d’expression et la fierté d’être Tunisien comme nous ne l’avions jamais ressenti auparavant, rien n’a vraiment changé.

Dès lors, le bouc émissaire idéal est le gouvernement intérimaire, alors qu’il ne s’agit que d’un gouvernement de gestion des affaires courantes.

Le malentendu vient de là :

-la Tunisie a opté pour la continuité constitutionnelle ; ce qui, mécaniquement, engendre une continuité et non pas la rupture tant souhaitée ;

-elle a également opté pour l’élection d’une assemblée constituante, dont le processus s’est avéré plus long que prévu.

Quels étaient au final, quels pouvaient être les véritables objectifs de la révolution tunisienne?

1-le départ du pouvoir du clan Ben Ali-Trabelsi;

2-une vraie reddition des comptes, un travail de justice et de mémoire;

3-et surtout, surtout: instaurer une vraie démocratie, de sorte que le même scénario ne puisse plus jamais se répéter.

Le peuple tunisien a réalisé le premier point. Il s’impatiente pour le deuxième, et oublie parfois que le plus important est le troisième point. Seul un gouvernement légitime, élu, réalisera le second point.

Le gouvernement intérimaire n’a pas la légitimité suffisante pour effectuer le grand nettoyage dont aurait rêvé une partie de l’opinion. Il n’a ni le temps ni la solidité qui auraient permis des changements en profondeur. Le ministère de l’Intérieur en est un exemple frappant. On avait trop besoin de lui pour tenir le pays, et donc on n’a pas pris le risque d’y mener de grands bouleversements.

De plus, ce gouvernement communique très mal. Difficile de faire pire en la matière. La majorité des Tunisiens sont par exemple convaincus que ce gouvernement engage l’avenir en contractant des prêts auprès du G8, ce qui est absolument faux. Il s’agissait uniquement d’accords de principe et le dernier mot reviendra au gouvernement élu. Autre exemple de la mauvaise communication : les Tunisiens ont l’impression que rien n’est fait pour rapatrier les biens du clan Ben Ali-Trabelsi, ni pour tirer au clair toutes les malversations commises, ni pour obtenir l’extradition des coupables.

Au final, on peut dire que le désenchantement d’une partie de l’opinion, son impatience, sont compréhensibles.

En réalité, dès lors que le gouvernement a par définition un déficit de légitimité, et dès lors qu’on a opté pour la continuité constitutionnelle pour assurer une apparence de légalité, les choses ne pouvaient se passer autrement.

Il appartiendra en réalité au gouvernement issu des urnes de parachever la révolution.

C’est pourquoi la priorité aujourd’hui est l’inscription sur les listes électorales et le bon déroulement d’élections aussi transparentes, aussi démocratiques, aussi crédibles que possible.

Soufia Limam

 

 

 

 

Soufia Limam