Tunisie- L’étrange affaire Ali Sériati

Voilà plus de six mois qu’il est incarcéré sans jugement, dans une caserne militaire. L’affaire Ali Sériati, ex directeur de la sécurité présidentielle, pose beaucoup de questions.

Six mois au cours desquels il a été interrogé, on le devine, de nombreuses fois. Une enquête ou des enquêtes ont été menés. Et dans ce cas :

-si on a trouvé des preuves contre lui, pourquoi n’est-il pas déféré devant la justice ? est ce par peur de le voir en éclabousser d’autres, beaucoup d’autres ? car le puissant responsable de la sécurité présidentielle qu’il a été, a eu connaissance de dossiers sur beaucoup de monde, grâce à ses services, à l’accès qu’il avait aux autres services, et aux équipements sophistiqués qui étaient utilisés dans la salle d’opération de la présidence à Carthage.

-et si on n’a rien trouvé, pourquoi le garder en détention ? parce qu’on veut l’utiliser comme un bouc émissaire ?

Rapide rappel des faits, ceux-ci ayant été publiés dans Le Courrier de l’Atlas en exclusivité, avant tous les confrères :

-La répression des manifs a été coordonnée au ministère de l’intérieur par le ministre de l’intérieur, le général Ammar en tant que chef d’état major de l’armée de terre sous la supervision de Ali sériati et ce, selon les ordres du président. Vendredi 14 janvier en début d’après midi, Ben Ali a demandé, selon les déclarations de Ridha Grira, ministre de la défense de l’époque, que ce soit dorénavant le Général Ammar qui fasse la coordination.

L’armée n’a jamais tiré et le général Ammar n’a jamais dit non, ni n’a été suspendu ou démis. Pour une raison simple : on ne lui a jamais demandé de tirer ni de faire tirer sur la foule. C’est une fable que nous avons été les premiers à dénoncer et ce depuis le mois de mars dans nos colonnes puis en avril sur notre portail.

-Le 14 janvier en début d’après midi, Leila accompagnée de Halima sa fille, du fiancé de celle-ci, de son jeune fils Mohamed, arrivé au palais de Carthage pour saluer le président avant son départ vers l’Arabie Saoudite. Elle a prévenu toute sa famille qu’il valait mieux partir au plus vite.

-Au moment où Leila est là, Ali Sériati annonce coup sur coup trois nouvelles inquiétantes : un premier hélico avec à son bord des hommes cagoulés, se dirigerait vers l’entrée principale du palais pour s’en emparer. Un second hélico, avec un commando à son bord, se dirigerait vers la seconde entrée. Et deux zodiacs avec également des commandos auraient également été repérés se dirigeant vers le palais. Ordre est donné par Sériati de les neutraliser s’ils ne rebroussent pas chemin.

Cette affaire des hélicos et des zodiacs reste à ce jour un mystère. Ridha Grira dit qu’ils n’ont jamais existé. Si c’est le cas, Ali Sériati les aurait inventé et il est facile de s’en assurer à travers les enregistrements, compte rendus et interrogatoires des opérateurs qui se trouvaient ce jour là dans la salle d’opérations du palais.

Si Sériati les a inventés, il a donc contribué donc à éloigner le président déchu en lui faisant subir une forte pression. Sinon, si ces commandos ont existé, qui était derrière?

-Même interrogation concernant le comportement de la Brigade Anti Terroriste (BAT) du ministère de l’Intérieur. Le chef de la brigade, Samir Tarhouni, est prévenu par téléphone, ce vendredi 14 janvier en milieu d’après midi, par sa femme qui travaille à l’aéroport, que les Trablesi sont là et qu’ils s’apprêtent à prendre la fuite. A la tête de plusieurs éléments de sa brigade, au moins une quinzaine selon nos sources, il se rend à l’aéroport, arrête les Trabelsi et appelle en renfort l’un de ses collègues et amis de la gendarmerie. Quelqu’un (qui ?), donne à l’OPAT l’ordre de fermer l’espace aérien tunisien ce qui est annoncé officiellement avant 16h et empêche les Trabelsi de prendre la fuite. Tarhouni a-t-il agi de son propre chef ? question restée sans réponse.

-Ben Ali ne comptait apparemment pas s’enfuir, puisqu’il n’a pris ni sa mallette ni ses lunettes et a failli oublier sa veste. En tous cas, ceux qui l’ont accompagné jusqu’à l’avion ont pensé jusqu’au bout qu’il voulait saluer sa petite famille puis qu’il les accompagnait lui-même à Jeddah et qu’il voulait réellement revenir le lendemain.

-Les rares personnes qui sont présentes jusqu’au bout décrivent un couple présidentiel affolé, paniqué, tremblant, sans aucun courage.

-Vers 16h30, un cortège sort du palais en direction de l’aéroport militaire où se trouve l’avion présidentiel. Quelqu’un dit : mais l’avion n’est pas encore prêt, restons encore au palais. Ben Ali et son épouse préfèrent y aller quand même et attendre sur place que l’avion soit préparé.

-Le cortège est ouvert par Ali Sériati dans son Audi A6. Ni sirènes, ni motards. Le suit Leila qui conduit elle-même son 4×4. A côté d’elle, Ben Ali et sur les sièges arrières, Halima, son fiancé et Mohamed. Puis dans quatre autres voitures, les nounous et les gardes du corps qui ferment la marche.

-Ben Ali parti, Ali Sériati s’attarde au salon d’honneur pour boire un verre de lait (ou un café crème, les témoins que nous avons interrogés divergent) et ce vers 17h45. A 18h00, il est arrêté par l’armée sur ordre de Ridha Grira. Pourquoi ? Cette arrestation était elle légale ? Il continuera néanmoins à répondre à son téléphone jusque vers 20h00 environ.

-Un colonel de la sécurité présidentielle prend alors l’initiative de convoquer le premier ministre et les présidents des deux chambres, pour annoncer le départ du président et assurer la continuité constitutionnelle. A-t-il réellement agi de son propre chef comme il l’a dit ultérieurement aux enquêteurs ? Ou bien a-t-il pris de vitesse un coup de force militaire qui se mettait en place depuis le début de l’après midi ?

 

Les principaux faits sont maintenant connus mais les questions restent nombreuses. Le peuple tunisien a le droit de connaître la vérité. Et il est clair que Ali Sériati n’est qu’une toute petite brique dans la succession des événements qui ont révolutionné la Tunisie de janvier.

S. L.

root