Tunisie – Slim Riahi absent à sa propre conférence de presse

 

Vendredi nous évoquions déjà le phénomène UPL, ce parti qui semblait surgi de nulle part dans le paysage politique tunisien, adepte du marketing politique le plus décomplexé, allant jusqu’à devancer la compagne électorale, voire l’obtention même de son visa qu’il n’a pas attendues pour faire du « teasing » publicitaire à grande échelle mais surtout beaucoup de terrain via des opérations séduction mi caritatives mi politiques qui ont fait couler beaucoup d’encre.

Depuis, deux événements majeurs viennent replacer le parti du jeune homme d’affaires Slim Riahi sur le devant de la scène médiatique : une interview télévisée sur Nessma TV hier soir qui devait lever le voile sur le mystérieux milliardaire et, dans la foulée, une conférence de presse ce matin censée présenter les grandes lignes du programme du parti et répondre à un certain nombre de rumeurs.

L’interview d’une heure a révélé un jeune politicien posé, plutôt sûr de lui, déterminé quant à ses ambitions politiques mais quelque peu austère s’agissant de ses idées qu’il exprima non sans une certaine langue de bois. Cherchant à tout prix à se soustraire aux clivages politiques traditionnels gauche / droite d’un côté, et affirmant de l’autre son « attachement à l’identité arabo-islamique et au panarabisme » déjà prôné par son père ex opposant nationaliste nassériste qu’il tient en exemple, il présente de fait une appartenance à des idéaux d’une droite libérale mais conservatrice et identitaire.  « Ce sont là mes idéaux, seulement la conjoncture me rend plus pragmatique » a-t-il regretté.

Quant à la conférence de presse tenue dans des locaux flambant neufs, on a très vite compris que Slim Riahi ne serait pas de la partie. Tollé dans la salle ! Les journalistes venus en nombre s’en sont indignés auprès du porte-parole Mohssen Hassen (photo), s’estimant lésés, dès qu’ils réalisèrent qu’il sera le seul intervenant.

Slim Riahi pas présent à « sa » propre conférence, des journalistes hostiles d’emblée, assurément pas la meilleure façon d’entamer une conférence qui promettait au speaker un sale quart d’heure. Celui-ci a bien tenté de retourner la situation à son avantage, en parlant d’absence voulue et que cela faisait partie de la stratégie de rupture du parti avec toutes les pratiques du passé en Tunisie, y compris celle de la personnification à outrance des partis qu’un seul homme incarne. En vain, le malaise persistait.

Une impression de bâclé

La présentation en elle-même, très courte, fut très générale, se contentant de fournir quelques grandes lignes du programme économique telles qu’un modèle de développement basé sur la solidarité, passant s’il le faut par un Etat imposant aux banques d’investir 20% de leurs bénéfices dans les zones rurales pour une meilleure redistribution des richesses.

« Notre programme est prêt, nous allons vous surprendre par des annonces incessamment sous peu ! » a eu beau marteler Hassen, l’audience restait sceptique face à une certaine impression de précipitation et de manque de sérieux.

« Le pragmatisme » était là aussi le maître-mot, tel une formule magique alternative rempart aux idéologies. On comprend que la formule promeut le libéralisme sans le nommer.

Face au grief consistant à critiquer l’UPL comme étant un parti ne joue pas à armes égales avec les autres partis étant donné la fortune de son fondateur, Hassen répond que l’autofinancement est au contraire une des qualités de son parti puisque, contrairement à tous les autres partis, le leur est le seul à ne pas être financé par des entités tierces, garantissant ainsi plus de transparence selon lui, se disant prêt pour un contrôle fiscal qu’il appelle de ses vœux à tout moment, ou une audit.

Ayant décidément réponse à tout, même mis en difficulté au sujet des acquisitions tous azimuts non sans rappeler un début de monopole digne des clans de l’ex régime, le porte-parole rétorque qu’il ne voit pas de mal à ce qu’un investisseur tunisien rentre investir dans son pays : « Nous devons le remercier d’opter pour servir la Tunisie et y créer les milliers d’emplois dont son économie a besoin » insiste-t-il.

Se refusant dans un premier temps à entrer dans les détails au prétexte que cela concernait les affaires privées de Slim Riahi, l’homme a confirmé en fin de conférence les acquisitions en question. C’est que le patron de l’UPL fait à lui seul depuis quelques jours la pluie et le beau temps sur la bourse de Tunis au rythme d’investissements hautement stratégiques dans le ciment d’une part (5% du capital de Ciment Carthage ex propriété de Belahssan Trabelsi) et 20% dans Essabah d’autre part, quotidien historique de la presse tunisienne anciennement détenu par Sakher Matri, tout un symbole !

Des acquisitions aux allures de revanche mais qui ont vite fait de lui valoir le surnom de Berlusconi tunisien. Même si, preuves à l’appui, le désormais futur présidentiable potentiel a nié dans son entretien d’hier avoir la nationalité britannique montrant sa carte de simple résident, ses aspirations présidentielles semblent aujourd’hui bien compromises par un style rappelant trop la mainmise d’un parti Etat dans l’Etat sur le pays, qui risque de laisser place à celle du « parti-entreprise » que l’on gère comme on gère un business.

S.S

 

Seif Soudani