Un tsunami est-il possible au Maroc?


Le tremblement de terre et le tsunami qui ont meurtri le Japon le 11 mars dernier et le sud de l’Espagne le 11 mai ont ressuscité les craintes sur un possible séisme de grande magnitude qui pourrait frapper le royaume. Et rappellent que le Maroc est non seulement exposé mais a déjà connu un spectaculaire te tragique tsunami il y a quelques siècles.


Peu évoqué, le tremblement de terre de Méknassa Azaytouna (en 1755) est pourtant le plus important séisme qui ait frappé le Maroc au cours de son histoire. Plus connu comme le «terrible tremblement de terre de Lisbonne», ce séisme d’une magnitude proche de neuf sur l’échelle de Richter avait presque totalement détruit la capitale portugaise, causant pas moins de 60.000 morts. Le royaume n’a pas été épargné, ni par les secousses et encore moins par le tsunami qui allait s’ensuivre.


«Lors du tremblement de terre de 1755, dit de Méknassa Azaytouna chez les historiens marocains (ou de Lisbonne) toute la côte ouest marocaine de Tanger et jusqu’au nord d’Agadir a été inondée par des vagues, des localités comme Asilah, Larache, Salé, El Jadida et Safi ont subi des dégâts considérables et les vagues ont atteint 10 à 15 m de hauteur dans ces deux dernières localités. La côte méditerranéenne n’est pas à l’abri non plus du risque de tsunami (lors du séisme de 1522, la côte comprise entre Al Hoceima et Kalaâ Iris a été submergée par les eaux) mais à un niveau inférieur par rapport à la côte atlantique, car les séismes de la Méditerranée sont moins violents que ceux de l’Atlantique », nous explique le sismologue Taj-Eddine Cherkaoui.


 


Le tsunami de 1755


 


Le tremblement de terre de 1755 a été d’une rare violence. Et les récits des historiens, rapportés dans une étude de Taj-Eddine Cherkaoui ont fait part de l’ampleur des dégâts de cette catastrophe naturelle. L’historien marocain En Nassiri a fait part de ses observations dans Kitab el Istiqsa : «En 1169 de l’hégire, se produisit le grand tremblement de terre au Maghreb, qui  détruisit presque complètement Méknassa Azaytouna et fit un nombre incalculable de morts. Parmi les esclaves seulement, il mourut près de 5.000 personnes».


Selon El Qadiri dans Nashr el Mathani : « A Fès, comme à Meknès, presque tous les édifices furent détruits, en particulier la grande mosquée et 3.000 personnes périrent sous les ruines. Des gens à Fès démolirent leurs maisons de crainte de les voir s’effondrer sur eux».


Les villes côtières ne furent pas en reste, subissant de plein fouet un tsunami des plus dévastateurs. Le Kitab el Istiqsa rapporte par exemple qu’à Salé, «Il y eut de grands dégâts, plusieurs maisons étant tombées ; la mer inonda toutes les rues et magasins. La mer se retira sur une grande étendue, des gens étaient allés voir ce phénomène quand tout à coup la mer revint brutalement vers le rivage, et dépassa de beaucoup sa limite habituelle, tous ceux qui étaient en dehors de la ville de ce coté là furent engloutis».


La même source rapporte qu’à El Jadida, «les eaux de l’Océan s’élevèrent au dessus de la muraille d’El Jadida et se répandirent dans la ville. Un grand nombre de poissons restèrent dans la ville quand la mer fut rentrée dans ses limites habituelles ; la mer déborda aussi sur les terrains de pâture et de culture ainsi que sur les redoutes qu’elle rasa complètement. Les bateaux et les canots du port furent presque tous brisés».


On retrouve d’autres détails de la catastrophe dans le récit du Père gardien du couvent royal de Meknès et vice-préfet apostolique des Saintes missions, rapporté dans une étude de l’ingénieur Najib Cherfaoui : «À Tanger, l’eau se retire des sources pendant vingt-quatre heures. Il s’ensuit une vive émotion, accentuée par un grondement continu et souterrain qui persiste plusieurs jours après la catastrophe. La lagune de Mar Chica (Nador) se ferme et s’assèche. Le port de Badis disparaît. À Larache, l’Oued Loukkos perd un bras et l’île antique de Lixus se retrouve au milieu des terres. L’estuaire du Bou Regreg à Rabat glisse vers le sud (causant des dégâts sur le site inachevé de la Mosquée Hassan) et le port de Salé s’enlise sous les sables. Les effets de la catastrophe se ressentent aussi à l’intérieur du pays, à Fès, Meknès et Marrakech.» 


Agadir, Al Hoceïma…


Depuis, d’autres tremblements de terre ont frappé le Maroc, ne dépassant que rarement la marque des six degrés sur l’échelle de Richter. Les plus meurtriers ont été ceux d’Agadir en 1960 et celui d’Al Hoceïma en 2004. Le séisme d’Agadir, d’une magnitude de 5,7 sur l’échelle de Richter a été de loin le plus meurtrier et le plus dramatique avec pas moins de 12.000 victimes qui ont péri sous les décombres et les toits des maisons. Plus des deux-tiers de la ville, constructions et infrastructures, ont tout simplement disparu. Quant au tremblement de terre d’Al Hoceïma, d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter, il a coûté la vie à 629 personnes. Des centaines de maisons ont été détruites dans les campagnes et pas moins de 950 habitations urbaines ont subi le même sort. «D’après les données de la sismicité historique et instrumentale, nous avons pu identifier les régions les plus exposées aux séismes : Agadir et Al Hoceima, plus d’autres régions à un degré inférieur. Beaucoup d’efforts ont été déployés depuis une quinzaine d’années pour améliorer la qualité des constructions, car si le bilan d’Agadir a été aussi lourd, cela était dû essentiellement à la mauvaise qualité des constructions et la construction sur des sols meubles qui amplifient l’action des ondes sismiques», explique le sismologue Taj-Eddine Cherkaoui.


Plusieurs études font état d’un risque de méga-tsunami qui laminerait toute la façade atlantique du Maroc. Déjà en 2001, un article, signé par l’Américain Steven Ward et le Britannique Simon Day et publié par la prestigieuse revue scientifique Geophysical Research Letters défendait cette thèse.


Selon eux, «le flanc ouest du volcan Cumbre Vieja, situé sur l’île de Palma est instable et pourrait, à la suite d’une future éruption, s’écrouler dans l’océan». Il s’agirait dans le pire des scénarios d’un énorme morceau long de 25 km, large de 15 et épais de 1.400 mètres qui  se détacherait, soit un total de 500 kilomètres cubes de terres et de roches. Et cette montagne d’eau pourrait atteindre 50 mètres de hauteur, une fois arrivée sur les côtes marocaines.


Mais, au-delà de ces prévisions calamiteuses, le Maroc gagnerait à installer une véritable stratégie en matière de prévention contre les risques sismiques. Si on ne peut pas encore prévoir les séismes, il est impératif de prendre en considération ce risque naturel par exemple dans les plans d’aménagement. Mais aussi, en faisant plus d’effort dans le volet de la sensibilisation, ciblant le grand public. Le cas japonais l’a bien montré : une population sensibilisée au risque de tremblement de terre est plus apte à faire preuve d’une grande maîtrise d’elle même, y compris au plus fort des secousses.


Y. B.


 


 


Entretien avec TajEddine Cherkaoui, géophysicien et sismologue


 


«Il y a encore à faire en ce qui concerne l’information et la sensibilisation de la population»


 


Quels sont les risques d'un tremblement de terre de forte magnitude et d'un tsunami au Maroc?


 


La position géographique du Maroc, à proximité de la limite entre les deux grandes plaques lithosphériques Afrique-Eurasie, fait que la sismicité dans plusieurs régions du pays est essentiellement gouvernée par le rapprochement entre ces deux plaques. Cependant, il faut bien signaler également que le Maroc n’est pas le Japon, ni le Nord de l’Algérie, ni l’Italie, ni la Grèce. La probabilité d’avoir un séisme de magnitude supérieure à 7 est faible, sur presque 110 observations sismologiques instrumentale, seul le séisme d’Al Hoceima avait une magnitude supérieure à 6.


Ceci peut être expliqué par le contexte géodynamique et tectonique du Maroc : il n’y a pas de zone de subduction (une plaque qui s’enfonce sous une autre), comme c’est le cas au Japon par exemple et la vitesse de rapprochement entre les deux plaques Afrique-Eurasie est faible, de l’ordre de 0,5 cm/an. Au niveau du détroit de Gibraltar, cette vitesse augmente en allant vers l’est de la Méditerranée. Il est à signaler que cette vitesse est de l’ordre de 8,5 cm/an (17 fois plus) au Japon. Pourtant, chaque année, on enregistre dans notre pays des tremblements de terre ressentis par la population et dans certains cas provoquant localement des dégâts qui peuvent être importants. Tout le monde a encore présents dans la mémoire les séismes catastrophiques d’Agadir en 1960 avec ses 12.000 morts et celui d’Al Hoceima en 2004 et ses 630 victimes.


Les dégâts provoqués par ces tremblements de terre ont montré la vulnérabilité des constructions de nos villes vis-à-vis de l’action sismique, alors que la sismologie nous enseigne que le séisme qui s’est produit par le passé dans une région se reproduira sans aucun doute dans le futur dans la même région. De tels événements n’ont pas seulement un impact physique, en plus de perte de vies humaines, ils peuvent également ruiner l’économie d’un pays, ses structures sociales, ses infrastructures et moyens de communication et ses moyens de production.


 


Quels sont les moyens de prévention dont dispose le royaume ?


 


Les moyens de prévention contre le risque sismique sont tout d’abord la surveillance sismique, l’identification et la délimitation des zones sismiques et l’évaluation de ce risque. Il y a ensuite la construction parasismique dans les zones exposées au risque sismique, ainsi que l’information et la préparation de la population pour faire face aux séismes. Si des efforts importants ont été réalisés pour les deux premiers points, je crois qu’il y a encore beaucoup à faire en ce qui concerne l’information et la sensibilisation de la population. Nous avons vu le comportement exemplaire de la population japonaise lors du dernier tremblement de terre du 11 mars. Sans cela, le bilan aurait été beaucoup plus lourd.


 


Que fait l'État marocain concrètement par rapport au risque sismique ?


 


Jusqu’au début des années soixante, le Maroc ne comptait qu’une seule station sismologique, installée en 1937 par l’Institut scientifique à l’observatoire géophysique Averroès (à 30 km au sud de Casablanca). Mais après le séisme catastrophique d’Agadir, les autorités du pays ont pris conscience de ce fléau naturel et beaucoup de décisions ont été prises : création d’un réseau de surveillance sismologique, l’application d’un code de construction parasismique, dit Norme Agadir 1960, pour la reconstruction de la ville d’Agadir avec l’intention d’établir un code de construction parasismique pour l’ensemble du territoire national. Ce projet de code s’est heurté à plusieurs obstacles d’ordre scientifique et politique.


Ce n’est qu’à partir de l’an 2000 que nous avons commencé à travailler sérieusement sur un nouveau code de construction parasismique, qui a donné naissance au RPS 2000, applicable depuis février 2002. Ce dernier sera révisé une dernière fois cette année pour donner naissance au RPS 2000 version 2011.


Faut-il penser par exemple à construire des habitations résistant aux secousses sismiques ?


Faute de pouvoir prévoir les séismes (date, magnitude et lieu), le seul moyen pour se prémunir du risque sismique est la construction parasismique.


 


Toujours par rapport aux séismes, qu'en est-il en termes de recherche scientifique marocaine dans ce domaine ?


 


Les chercheurs marocains font du bon travail, malgré le fait que le nombre de sismologues au Maroc soit très réduit. La sismologie dans notre pays a commencé en 1913 à l’Institut scientifique chérifien (devenu Institut scientifique, Université Mohammed V – Agdal). Bien entendu, les premiers travaux de recherche étaient assurés par les Français, mais à partir des années 1970, les premiers Marocains ont commencé à publier dans ce domaine, d’ailleurs très récent (la sismologie a vu le jour au 20e siècle. Depuis le début des années 80, les chercheurs marocains ont fait d’importants efforts pour mieux connaître la sismicité du pays, identifier les zones à haut risque sismique et évaluer ce risque. Des missions de terrain et des études ponctuelles sont menées dans des régions comme Al Hoceima et Agadir, pour mieux connaître la sismicité dans ces régions et comprendre son mécanisme. Par ailleurs, le code de construction parasismique est un produit purement marocain.


Younes Baâmrani


 


 




 

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