Salah Mejri : « Je suis heureux d’être le 1er Maghrébin en NBA »

 Salah Mejri : « Je suis heureux d’être le 1er Maghrébin en NBA »

Le pivot de 2


Originaire de Jendouba, en Tunisie, ce pivot de 2,17 mètres a rejoint les Mavericks de Dallas en 2015, au sein de la prestigieuse ligue de basket américain (NBA). Alors que la saison vit son épilogue, il revient sur son parcours et ses ambitions. 


Vous avez découvert le basketball assez tardivement, avant de connaître une ascension fulgurante…


A l’école, tout le monde jouait au football. La Tunisie n’est pas un pays de basket… J’ai donc découvert ce sport assez tard. J’ai intégré l’Etoile sportive du Sahel (à Sousse, ndlr) à 20 ans, en 2006. L’année suivante, le club a gagné le championnat, ce qui n’était plus arrivé depuis 1981. Nous avons remporté un autre titre en 2009 et lors de l’été 2010, je me suis expatrié en Belgique pour évoluer avec les Port Antwerp Giants (Anvers). J’ai ensuite continué ma progression en Espagne dans un club de milieu de tableau, Obradoiro CAB, en 2012, puis le Real Madrid m’a fait signer pour deux saisons. Nous avons fait le triplé lors de la saison 2014-2015 et j’ai rejoint les Mavericks de Dallas durant l’été.


 


Avant d’évoquer la page NBA, faisons un bref retour sur votre passage à Madrid, et sur ce moment où vous avez refusé d’aller jouer en Israël…


Je ne suis pas un homme politique, mais j’ai des convictions. Et effectivement, la première année de mon arrivée au Real, nous devions aller jouer là-bas contre le Maccabi Tel-Aviv et je ne voulais pas. L’équipe a insisté et je me suis dit qu’en tant que professionnel, je devais le faire. Lors de ce déplacement, j’avais confié en off à un journaliste israélien qui me demandait si j’aimais Israël, que pour tout arabe, ici ce n’est pas Israël, c’est la Palestine. Les propos ont été repris le lendemain dans les journaux et amplifiés. La seconde année j’ai donc refusé d’y aller. J’imagine que cela n’a pas dû plaire à tout le monde au sein du club espagnol.


 


Après l’épisode madrilène, vous rejoignez Dallas, en NBA. Un rêve de gosse ?


Complètement ! Tous les joueurs, les amoureux de basket veulent venir jouer dans la meilleure ligue de basketball au monde. On me supervisait déjà quand j’étais en Belgique, mais je voulais avancer étape par étape. J’ai travaillé dur et j’ai pu réaliser mon rêve, je suis tellement heureux.


 


Le basket européen est-il très différent de son homologue américain ?


C’est totalement différent. Déjà, aux Etat-Unis, il y a énormément de matchs (82 par saison). On joue presque cinq matchs par semaine, on voyage tout le temps ou presque. En Europe, il y avait beaucoup d’entraînements pour s’améliorer et montrer au coach qu’on mérite sa chance, ici, on s’entraîne très rarement. Il faut donc répondre présent à chaque fois que le coach fait appel à toi. Le jeu européen est plus lent, plus tactique ; ici, les joueurs sont plus athlétiques, tout va plus vite.


 


Sur le terrain, malgré de bonnes performances, votre temps de jeu reste limité. Qu’est-ce qui pourrait faire évoluer votre situation ?


Un nouvel entraîneur. Je ne vais pas le cacher, tout le monde sait que le coach des Mavericks (Rick Carlisle, ndlr) et moi ne sommes pas les meilleurs amis du monde. Ce n’est ni de sa faute ni de la mienne. Seulement, il n’a pas l’habitude de travailler avec des joueurs internationaux qui n’ont pas d’expérience en NBA… Il préfère s’appuyer sur des vétérans. Mais peu importe. Je bosse dur pour qu’il fasse appel à moi, et quel que soit mon temps de jeu, je répondrai présent et je donnerai le meilleur de moi-même à chaque fois. Je suis un professionnel.


 


La NBA a évolué, dans le sillon des Warriors de Golden State (Oakland) (vainqueurs du championnat en 2017) qui font appel à des joueurs de plus petite taille. Est-ce inquiétant pour les pivots comme vous ?


C’est vrai que beaucoup d’équipes ont voulu copier le style du champion en jouant “small ball” (style de jeu privilégiant la vitesse et l’agilité au détriment de la taille et de la puissance physique, ndlr). Sauf que Golden State possède avec Zaza Pachulia, un pivot de 2,11 mètres, capable de stopper les “big men” (joueurs de grande taille, ndlr). Ce club est un ovni dans la ligue. Il peut compter sur Stephen Curry, Kevin Durant et Klay Thomson, trois shooteurs extraordinaires. A côté, beaucoup de “big men” aident des équipes comme Toronto, première équipe de l’Est, ou Houston, meilleure équipe NBA cette saison. Donc, non, je ne m’inquiète pas. Nous restons très importants pour certaines tactiques de jeu.


 


Vous avez eu un petit incident avec la sélection nationale tunisienne qui avait mal évalué votre blessure. Vous n’avez pas participé au championnat d’Afrique des Nations de basketball, Afrobasket, en 2017 après le refus de votre club. Allons-nous vous revoir avec le maillot national ?


Evidemment ! J’adore mon pays, porter ce maillot est un honneur. Avec la sélection, j’ai vécu des moments inoubliables. Comme en 2011 lorsque nous avons gagné le premier Afrobasket de notre histoire à Madagascar face à l’Angola. Cette victoire, la joie des Tunisiens, je ne l’oublierai jamais. Je veux rejouer pour l’équipe nationale, mais vous savez qu’ici, en NBA, les clubs ont leur mot à dire et je ne suis pas le seul décisionnaire.


 


Vous êtes le premier Tunisien, et même Maghrébin, à évoluer en NBA, ça doit être un honneur…


Je suis heureux d’être le premier Maghrébin à évoluer en NBA. C’est un honneur de représenter la Tunisie et aussi une grande responsabilité. Je sais que beaucoup me suivent, chez moi, mais aussi dans toute l’Afrique. Certains sont déçus de ne pas me voir jouer plus souvent, mais après chaque match j’ai énormément de retours. Je suis ravi de les représenter et de jouer pour eux. Je vais continuer à me battre pour les rendre fiers.


 


Que pensez-vous de la situation actuelle en Tunisie ? Sa reconstruction est-elle en bonne voie ?


Comme je vous le disais, je ne suis pas un politicien et je ne me permettrai pas de juger ce qui est fait. Néanmoins, je suis plutôt optimiste pour la suite. Nous avons désormais une réelle liberté, de mouvement, de parole, et c’est une avancée notable. La situation économique demeure inquiétante, mais nous sommes dans une période de transition, compliquée pour tout le monde. Les Tunisiens doivent continuer d’y croire, l’économie devrait prospérer avec l’essor du tourisme notamment. Je suis persuadé que nous sommes sur la bonne voie.


 


Votre fondation met en place des camps de basket en Tunisie. Pouvez-vous nous en dire davantage ?


Chaque été, nous organisons des camps à La Goulette, Nabeul ou Radès pour développer la pratique du basket auprès de jeunes qui regardent les matchs NBA à la télévision. L’an dernier, nous avons monté un camp avec des officiels de la ligue professionnelle américaine de basketball, lesquels sont venus évaluer le niveau des jeunes basketteurs tunisiens âgés entre 13 et 17 ans. Les heureux sélectionnés se sont vus offrir un plan de carrière en NBA avec à la clé la possibilité de faire des études dans une université américaine. 

Jonathan Ardines