Toulouse. A l’hôpital Joseph-Ducuing, plaintes pour agressions sexuelles déposées contre un veilleur de nuit

 Toulouse. A l’hôpital Joseph-Ducuing, plaintes pour agressions sexuelles déposées contre un veilleur de nuit

Hôpital Joseph-Ducuing à Toulouse. Crédit photo : Wikimedia Commons.

En novembre 2020, Sarah et Céline ont déposé une plainte commune contre un veilleur de nuit de l’hôpital Joseph-Ducuing à Toulouse où elles travaillent toutes les deux, pour des faits d’agression sexuelle et d’harcèlement. Elles ont été choquées d’apprendre qu’après avoir été mis à pied quelques semaines par la direction, le veilleur de nuit a été réintégré à son poste. Selon Sarah et Céline, une troisième personne qui ne souhaite pas s’exprimer, aurait déposé, elle aussi, une main courante pour harcèlement en 2019 contre le même homme.

 

Selon un syndicaliste, l’agresseur présumé nie en bloc et se défend en parlant de « complot » orchestré par ces deux femmes, destiné à le salir. Toujours selon ce syndicaliste, pour justifier sa décision, la direction de l’hôpital évoquerait la « présomption d’innocence ». « Elle promet de prendre les mesures nécessaires si il est condamné », ajoute-t-il. Contactée, la direction n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

En janvier 2019, Sarah, alors âgée de 22 ans, commence son emploi d’agent de sécurité incendie à l’hôpital Joseph-Ducuing. « C’est Céline qui m’a fait entrer dans la boite », raconte la jeune femme. Les deux filles se connaissent depuis longtemps et s’apprécient.

« J’ai mis en garde Sarah dès le début en lui disant qu’il fallait qu’elle se méfie de deux personnes à l’hôpital dont le veilleur de nuit », se souvient Céline.

« Je n’ai pas voulu entrer dans les détails, je voulais que Sarah se fasse sa propre opinion », ajoute-t-elle. « Et puis, je me disais comme Sarah est lesbienne, il n’osera pas essayer avec elle ». 

Céline met en garde Sarah donc, mais ne lui dit pas ce qu’il lui est arrivé il y a quelques années. « Un peu par déni, pour ne pas avoir à expliquer dix fois la même chose, pour ne pas inquiéter mes proches aussi », explique Céline.

Un soir d’hiver de 2011, le veilleur de nuit l’aurait agressée sur le parking de l’hôpital. « Il a voulu m’embrasser de force. Alors que je me débattais, il m’a tenu les bras pour ne pas que je m’enfuie. J’ai fini par le repousser et j’ai réussi à partir », relate Céline, la voix toujours remplie par l’émotion.

Traumatisée, Céline se retrouve alors en arrêt maladie pendant six mois. A son retour, elle demande à ne plus travailler avec son agresseur. S’ensuit alors « des années de misère psychologique », dixit Céline. « Il me traitait de salope, déclenchait des fausses alarmes et pour que je me fasse virer, il disait que c’était moi. Ma cheffe me donnait des tranquillisants tellement j’étais à bout », se remémore-t-elle.

Les années passent et Céline évite de se retrouver dans la même pièce que le veilleur de nuit. Début 2020, elle est à l’hôpital avec Sarah. Céline se rend compte que son amie et collègue a changé de comportement depuis peu. Elle l’a sent « perturbée ».

Comme Céline, Sarah n’a parlé à personne de son agression. Sarah finit par avouer à Céline ce qu’elle a subi il y a quelques mois. Sarah aurait été agressée par le même homme, dans le même endroit, le parking de l’hôpital. Le récit de Sarah ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de Céline. Sarah : « Il a voulu m’embrasser de force, je l’ai repoussé. Il a failli me bloquer dans un coin mais j’ai réussi à m’enfuir ».

Quelques jours après les faits, Sarah retourne à l’hôpital. Le soir, elle retrouve le veilleur de nuit. Sarah raconte : « Il m’a dit « tu te souviens, quand on s’est embrassé ? Eh bien, tu m’as touché la bite« . C’était pour me faire comprendre que si je parlais, il dirait cela », explique la jeune femme.

En mars 2020, Sarah est reçue par la référente « harcèlement » de l’hôpital. C’est elle qui la convainc d’aller déposer plainte. « Elle m’a dit « est-ce que toi tu ferais ça à quelqu’un ? » ; j’ai répondu que non et ça a été le déclic pour aller au commissariat », explique Sarah.

Une enquête en interne aurait alors été diligentée. « Ils ont vu qu’il y avait d’autres victimes. Il a même harcelé des hommes », soutient Sarah.

Sarah a également déposé plainte pour viol contre un autre homme, un agent hospitalier, ami du premier agresseur, le veilleur de nuit. Des faits qui seraient intervenus le 17 novembre 2019 dans une salle de l’hôpital Joseph-Ducuing.

« D’après plusieurs médecins, mes deux agresseurs auraient fait un pari entre eux me concernant, comme des animaux sauvages face à un bout de viande », lâche désabusée Sarah.

Aujourd’hui, l’agent hospitalier ne travaille plus à l’hôpital, mais selon Sarah, ce n’est pas la direction qui a mis un terme à son contrat. « Il était comme nous employé d’une entreprise de soustraitance. C’est notre entreprise qui l’a viré. Elle, n’a pas hésité…», pointe Sarah.

Aujourd’hui, Céline et Sarah se disent déçues par la direction de l’hôpital, qui a décidé de réintégrer le veilleur de nuit à son poste, « comme si rien ne s’était passé », pestent les deux femmes. Malgré plusieurs témoignages confirmant les dires des jeunes femmes, la direction préfère attendre le jugement du tribunal.

« Céline et moi, nous ne sommes pas rattachées à l’hôpital. Nous travaillons pour un soustraitant. C’est pour cela que nous sommes moins soutenues par la direction », affirme Sarah. « Notre agresseur, lui, travaille depuis plus de 22 ans à l’hôpital. Il a le bras long », appuie de son côté Céline. « A partir du moment où nous travaillons dans leurs locaux, ils sont responsables de nous autant que de leurs salariés », regrette de son côté Sarah.

Aujourd’hui, Sarah est en arrêt maladie depuis juin 2021. « Après mon agression sexuelle, le veilleur de nuit m’a harcelée. C’était un enfer. A de nombreuses reprises, il me bloquait le passage en me disant que si je ne l’embrassais pas, je ne passerais pas. Les médecins ont dû m’arrêter», se justifie Sarah.

Sarah est suivie par deux psychologues et un psychiatre. « Je ne sais pas si j’aurais la force de reprendre le travail à l’hôpital», avoue-t-elle. Céline a demandé une rupture conventionnelle. Un crève-cœur pour elle, qui « aimait bien son boulot ». « Depuis 2009, je travaille ici. Mais je dois d’abord penser à ma santé mentale », lâche-t-elle. Les deux promettent d’aller au bout de leur combat judiciaire. Parce qu’elles ne « veulent pas qu’il y ait d’autres victimes ». 

Ce n’est pas la première fois que des faits d’agressions sexuelles sont dénoncés dans l’hôpital Joseph-Ducuing. En mai 2020, comme nous vous relations dans ces colonnes, une patiente, Malika, avait déposé une plainte pour « agression sexuelle » à l’encontre d’un médecin urgentiste, avant que deux autres victimes pour des mêmes faits se fassent connaître par la suite. En décembre 2020, ce médecin était mis en examen et placé en détention dans une prison de Toulouse.

Ces nouvelles accusations d’agressions sexuelles arrivent en pleine crise de gestion et de management que traverse l’hôpital Joseph-Ducuing. En 2019, après une grève d’un mois des urgences, neuf médecins sur onze avaient démissionné. Le 17 décembre 2021, la direction, nommée en 2018, avait fermé le secteur de la médecine interne. Le 6 janvier dernier, un nouveau conseil d’administration a été élu.

 

Nadir Dendoune