Tunisie. Le climat des affaires entre discours officiel et réalité du terrain

 Tunisie. Le climat des affaires entre discours officiel et réalité du terrain

Pensé pour être une messe complémentaire au plat de résistance qu’est le Forum de la francophonie, la Forum économique de Djerba fut l’occasion pour les officiels tunisiens et étrangers de formuler diverses recommandations et aspirations en matière économique. Autant dire des vœux pieux, si l’on se réfère aux récentes données relatives au climat des affaires et à l’exode des grandes multinationales qui quittent une à une le pays.

Depuis cette tribune post Sommet, la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, profitant de la présence de nombreux chefs d’Etats, a ainsi appelé à « lever tous les freins à la mobilité dans l’espace francophone et à œuvrer davantage pour un partenariat circulaire ». Elle ajoute qu’« il n’est plus tolérable que nos jeunes, nos entrepreneurs, nos chercheurs et nos artistes soient empêchés d’agir », applaudie lors de la clôture des travaux de la 4e édition du Forum économique de la francophonie qui se tient en marge de la 18e édition du Sommet de la Francophonie.

Indéniablement plus à l’aise à l’oral en français qu’en arabe, Bouden a insisté sur la nécessité d’une « intégration plus poussée des chaînes de valeur dans l’espace francophone, en vue de fluidifier les échanges entre les différents pays », dans de nombreux secteurs stratégiques. Elle a estimé à ce titre qu’il est nécessaire de restructurer les politiques agricoles et industrielles. Elle a aussi à cet égard plaidé en faveur de la création de plateformes communes, sorte de « zone franche d’innovation » qui permettrait l’édification de réseaux d’échange et d’entreprenariat.

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La Première ministre a enfin appelé les pays francophones à saisir les opportunités dont jouit la Tunisie dont son positionnement stratégique, son capital humain et l’attractivité de son « écosystème multisectoriel », en vue d’un partenariat économique « agissant et générateur de richesses partagées et durable ».

Mais au-delà des beaux discours de circonstance, qu’en est-il de la santé de l’investissement international en Tunisie ?

 

L’exode massif des multinationales

Un rapide examen de la situation montre pourtant que le discours officiel, fait de bienveillance et de volonté d’abolir les obstacles bureaucratiques, ne résiste hélas pas longtemps à l’épreuve des faits.

Car face à la dégradation du climat des affaires et aux difficultés à rapatrier leurs bénéfices, beaucoup d’entreprises étrangères s’interrogent sur leur avenir en Tunisie, rapporte notamment Africa intelligence qui titre que « pour les investisseurs, tous secteurs confondus, le pays fait désormais office de « no-go zone » ».

Des entreprises internationales qui sont désormais nombreuses à envisager de quitter la Tunisie. En cause, principalement la dégradation de l’environnement des affaires. L’accord récemment arraché par Tunis auprès du Fonds monétaire international (FMI), d’un montant de 1,9 milliard d’euros, non encore finalisé, ne suffirait manifestement pas à rassurer les investisseurs.

Le phénomène toucherait tout particulièrement le domaine pharmaceutique : après les laboratoires suisses Novartis et les Allemands de Bayer, la liste des labos en partance du pays s’allongerait davantage au mois de janvier 2023. Le géant américain Pfizer compte en effet suivre le mouvement à cause de l’environnement économique, fiscal et réglementaire en Tunisie jugé « peu favorable ».

Selon le Syndicat des entreprises pharmaceutiques innovantes et de recherche (Sephire), l’Etat tunisien, via la Pharmacie centrale de Tunisie, doit à présent 750 millions de dinars, soit environ de 225 millions d’euros, aux laboratoires. Un retard cumulé qui fait que ces entreprises ont réduit leurs investissements, ce qui met également en péril l’industrie pharmaceutique locale, qui bénéficie de contrats de licence avec ces géants internationaux.

Par conséquent la chambre syndicale des pharmaciens grossistes a annoncé la cessation des activités de vente depuis le 15 novembre après que les autorités aient refusé d’exonérer cette industrie de retenue à la source, aggravant la pénurie de médicaments qui court depuis plusieurs années. Pour les contribuables tunisiens, les délais de remboursement des médicaments par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) se sont quant à eux sensiblement allongés.

S’agissant des télécommunications, si les problèmes sont anciens et structurels, ils sont aggravés par la baisse de recettes de l’Etat et de la pression exercée sur les réserves de devises de la Banque centrale de Tunisie. Les principaux opérateurs étrangers que sont le français Orange et le qatari Ooredoo peinent donc à rapatrier leurs bénéfices en devises.

Enfin, sans envisager de départ définitif, les pétroliers toujours actifs en Tunisie, à l’instar de Perenco, se montre très critiques des autorités, à qui ils reprochent leur inertie dans l’approbation des concessions, l’absence de régulations attractives pour encourager le développement des champs matures et la taille trop réduite des concessions, qui handicapent les investisseurs dans le recouvrement de leurs dépenses.

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Les multinationales attendent non sans anxiété la loi de finances 2023, seul espoir de rétablissement d’un cadre juridique plus favorable aux affaires. Dans le budget de 2022, un point de contentieux les avait lourdement pénalisées : l’article 52, relatif à l’arrêt du régime de suspension de la TVA pour les sociétés de commerce international. Une mesure à contre-courant des standards des voisins régionaux comme le Maroc et la Turquie, qui proposent un cadre autrement plus flexible pour les investisseurs étrangers. La première mouture du projet de loi qui a fuité début novembre ne prévoit néanmoins aucune modification en ce sens. Nous y reviendrons.

Seif Soudani