Tunisie. Najla Bouden chargée de former un gouvernement

 Tunisie. Najla Bouden chargée de former un gouvernement

Najla Bouden Romdhane (63 ans) a été chargée ce matin mercredi 29 septembre de former un nouveau gouvernement par le président de la République, Kais Saïed. Qui est cette sexagénaire, inconnue au bataillon, première femme à présider un gouvernement en Tunisie et dans le monde arabe, et pourra-t-elle mettre un terme à l’instabilité gouvernementale chronique du pays ?  

 

« La femme est capable de succès et de clarté de vision tout à fait autant qu’un homme », a affirmé le président Saïed en recevant Najla Bouden. Une phrase qui peut prêter à sourire en 2021.

 

Née en 1958 à Tunis, cette haute fonctionnaire de formation scientifique est professeure de géologie à l’Ecole nationale d’ingénieurs de Tunis (ENIT). Pas moins de trois chefs de gouvernement ont été désignés avant elle en l’espace d’1 an et 10 mois. Sa nomination met un terme à plus de 2 mois de vacance de poste à la Kasbah où l’entrée est à ce jour barrée par un blindé de l’armée.

Depuis 2016, Najla Bouden occupait par ailleurs le poste de cheffe de l’Unité de gestion par objectifs pour l’exécution du projet de la réforme de l’enseignement supérieur en vue de l’appui à l’employabilité des diplômes de l’enseignement supérieur du projet « Promesse-TN » au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Elle supervisait à ce titre l’exécution des recommandations du programme des réformes du Fonds monétaire international dans ce secteur. Au moment où le pays retient son souffle s’agissant de sa dépendance vis-à-vis du FMI, cet aspect du CV de Bouden vise sans doute entre autres à rassurer cette instance.

Premières controverses

Au chapitre des réactions à chaud, notons celle d’Achref Aouadi, président de l’ONG de vigilance I-Watch, qui déplore ce choix qui fut « déconseillé au président de la République par son entourage ». Le chef de l’Etat aurait fini d’après cette source par trancher en faveur de « la candidate de la première dame », la proximité de la cheffe du gouvernement avec son épouse, la magistrate Ichraf Chebil, étant selon lui connue. Toujours selon Aouadi, le militant associatif affirme que Nejla Bouden ferait l’objet d’une enquête administrative, et que cette information reste à vérifier dans les prochains jours.

Si le choix historique d’une femme à la tête d’un gouvernement réjouit le camp moderniste en Tunisie, Nejla Bouden ne semble pas faire l’unanimité jusque dans le camp des supporters du président Saïed où pour certains elle représente les sphères francophones bourgeoises du pays.

Face au mécontentement grandissant à l’international quant au coup de force présidentiel et la suspension de la Constitution, le choix d’une femme parfaitement bilingue est une manœuvre stratégiquement pertinente. Deux grands écueils pèseront néanmoins tels une épée de Damoclès sur son mandat cependant : la question de la légalité constitutionnelle de cette nomination, en l’absence d’un Parlement pour lui voter la confiance d’une part, et la difficulté d’autre part de collaborer avec un président Saïed qui a démontré par le passé un tempérament colérique enclin aux limogeages intempestifs.

A ce titre, Bouden occupera davantage la fonction de Premier ministre, voire de secrétaire d’Etat, un poste d’exécutant ne disposant pas ne serait-ce que du droit de choisir ses propres collaborateurs.

Le 25 septembre, n’ayant visiblement pas oublié la lecture littéraliste du Coran et de la charia du président Saïed défavorable à l’égalité dans l’héritage entre les hommes et les femmes, l’ATFD plus grande ONG féministe du pays, s’était fendue d’un communiqué de rejet très ferme des « dérives autocratiques » de Carthage.

 

Seif Soudani