Tunisie : Timide et tardive arrivée des premiers vaccins Covid

 Tunisie : Timide et tardive arrivée des premiers vaccins Covid

A gauche, le ministre de la Santé Faouzi Mehdi, considéré comme proche du président de la République Kais Saïed

Sur le tarmac de l’aéroport Tunis-Carthage, on se bousculait en fin de journée du 9 mars pour accueillir en grande pompe, face caméra, le tout premier arrivage de vaccins anti Covid. Une conférence de presse pour à peine 30.000 doses.

« Et la montagne accoucha d’une souris de laboratoire ! », aime-t-on à ironiser sur les réseaux sociaux tunisiens, aussi amers qu’attristés de figurer parmi les tous derniers pays de la région à recevoir en quantité significative de vaccins anti Coronavirus.

Ultime signe de décadence, c’est un Airbus A330 cargo d’Air France, un vol régulier desservant Tunis tous les mardis, qui a acheminé la cargaison vitale pour le pays. Le piteux état de la flotte Tunisair n’est sans doute pas étranger à cette solution de secours.

Une cargaison de 950 kg au total, correspondant aux seulement 30.000 doses de Sputnik V qui ont d’abord fait escale à l’aéroport Paris-CDG en provenance de Moscou pour finalement arriver à Tunis. Aussi maigre soit-elle, cette quantité n’empêche pas la page officielle de l’ambassade de Russie en Tunisie d’afficher fièrement cette victoire en termes d’aura diplomatique, en se prévalant du fait que « Le vaccin Spoutnik V devient ainsi le premier vaccin disponible en Tunisie pour démarrer la campagne de vaccination dans le cadre de lutte contre la pandémie de COVID-19. »

30.000 doses, cela signifie qu’en prenant en compte les impératifs rappels de vaccination, cette première vague suffira à peine à couvrir les besoins du corps médical en première ligne. La commande totale auprès de la Russie est cependant de 500.000 doses, sans que l’on sache à quel rythme le reste sera acheminé.

 

Le rôle clé, dissimulé, d’un homme d’affaires

Comment a-t-on pu en arriver là en Tunisie au moment où les voisins maghrébins ont déjà été vaccinés par centaines de milliers ? L’instabilité politique du pays où les deux pôles de l’exécutif ne se font plus aucune confiance y est sûrement pour beaucoup.

L’épisode du vaccin Spoutnik est en effet un bon exemple de la cacophonie qui règne entre Carthage et la Kasbah. Pendant plusieurs semaines, la présidence de la République et celle du gouvernement vont tour à tour prétendre chacun à la paternité de l’opération, notamment via des entretiens téléphoniques avec le numéro 2 du régime russe Sergueï Lavrov.

Probablement par souci d’honnêteté, c’est le ministre de la Santé lui-même qui en accueillant ces vaccins à l’aéroport Tunis-Carthage a finalement révélé le rôle joué par Mehdi Douss dans l’entremise et les négociations à la hausse du nombre de ces vaccins. Propriétaire de la chaîne des restaurants « La Marée » établie à Moscou, l’homme aurait obtenu selon nos informations la multiplication par deux des 15.000 doses initiales.

Mehdi Douss

 

La nouvelle hype du vaccin chez les plus privilégiés

Au moment où 99% des 12 millions de Tunisiens sont encore loin d’avoir accès à la vaccination Covid et où la formule « les vaccins arriveront la semaine prochaine » est qualifiée d’arlésienne sans crédibilité, le ministère de la Santé n’a entamé qu’aujourd’hui mercredi une campagne de sensibilisation en ligne affirmant que le vaccin est efficace dans 95% des cas.

Dans les milieux huppés de la capitale, il n’est pas rare que les plus aisés se targuent d’être partis se faire vacciner à Dubaï, à deux semaines d’intervalle, via un vol en first class. En matière de vanteries bourgeoises et trendy, le vaccin aurait ainsi remplacé le summum du luxe de réveillonner dans les destinations exotiques. L’aller-retour médico-touristique a même été fait par plusieurs députés, nous apprend un co-passager préférant rester anonyme.

En attendant l’arrivée en provenance de la Chine mais aussi des Etats-Unis et d’Europe via Pfizer et l’initiative Covax qui tarde à donner ses fruits, la Tunisie n’a peut-être jamais été aussi proche du statut de failed state, ou Etat en déliquescence tel que défini par le Fund for Peace : un Etat défaillant, qui ne parviendrait plus à assurer ses missions les plus essentielles.

Seif Soudani