Tunisie. Tunnel menant à la Résidence de France: genèse d’une fake news

 Tunisie. Tunnel menant à la Résidence de France: genèse d’une fake news

Dans la nuit du mardi au mercredi 3 novembre, quelques médias nationaux s’emballent : un tunnel secret aurait été découvert, menant à la résidence de l’ambassadeur de France à la Marsa, un domaine de 3 hectares. Certains évoquent un tunnel 300 mètres. La Brigade anti-terroriste (BAT) est même dépêchée sur place, le secteur est bouclé. Mais que sait-on réellement de cette affaire digne des plus sulfureux polars ?

Dar El Kamila est un palais situé non loin de la corniche, abritant la résidence de l’ambassadeur de France en Tunisie. Les inspirations multiples et les différents travaux d’agrandissement et d’embellissement au cours des XIXe et XXe siècles a été marqué par l’influence de l’architecture ottomane, hispano-maghrébine, italienne et du Sud tunisien

D’après nos sources sécuritaires contactées dans la journée de mercredi, c’est un ressortissant d’un pays du Golfe, résidant depuis peu dans cet ancien quartier de la banlieue nord de Tunis, qui a initialement alerté un poste de police. Le signalement fait état de bruits suspects et d’activités nocturnes dans le voisinage mitoyen de sa villa, « des personnes creusent la terre et vident du sable la nuit ».

Sur place, la police découvre une habitation quasiment délaissée, où semblaient habiter plusieurs familles, et où des meubles ont été disposés à l’extérieur suite à un avis d’expulsion. Mardi soir, le président de la République Kais Saïed, la cheffe du gouvernement Najla Bouden ainsi que le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine font le déplacement. Un défilé d’officiels qui alimente les spéculations sur le caractère sérieux de l’information.

En fin de matinée, le ministère de l’Intérieur publie un communiqué selon lequel un individu suspecté de radicalisme religieux avait été repéré parmi les visiteurs de l’endroit.

Mais dans l’après-midi, l’heure est rapidement à la relativisation, voire à l’incrédulité. L’ambassadeur français André Parant déclare : « Nous n’avons vu aucun tunnel, ce ne sont que des rumeurs que nous souhaitons ne pas commenter pour l’instant ». Plus tard l’ambassade de France communiquera au Figaro qu’il ne s’agirait que d’un trou d’1m50

Le correspondant du Point raille quant à lui ces allégations :

 

Superstition et récupération populiste

Libres de circuler dans le jardin de la mystérieuse maison, sans dispositif policier, des médias locaux apprennent ce matin des voisins de la famille expulsée que le père de famille s’adonnait avant son départ à une activité populaire superstitieuse, une pratique répandue : il creusait motivé par la croyance désespérée en la présence de trésors enfuis datant de l’ère beylicale.

L’existence de tunnels remontant à l’époque du protectorat, et la très théorique jonction du forage de fortune avec ces tunnels, auraient achevé de produire le mythe d’un projet terroriste, au moment où prévaut la résurgence d’un sentiment anti-français dans le pays.

Qu’à cela ne tienne, la présidence de la République publie malgré tout une vidéo ce soir où l’on peut voir le président Saïed s’enquérir de « l’existence d’un trou de 30 mètres de profondeur », puis donner ses instructions au ministre de l’Intérieur pour « déjouer les sombres projets de ceux qui complotent la nuit ». Un lexique récurrent de la rhétorique Saïdienne.

S’il n’est pas cette fois à l’origine de cette légende urbaine, le Palais s’est rendu au minimum responsable de l’instauration d’un climat propice à l’inquisition et à l’approximation, un contexte où les dépositaires de l’ordre public sont manifestement tentés de plaire à leur chef suprême, quitte à forcer le trait de telles découvertes anecdotiques.

L’affaire n’est pas sans rappeler en effet les multiples reprises où tout au long des années 2020 et 2021, Carthage a prétendu que le président Saïed avait fait l’objet de tentatives d’empoisonnement, tantôt à la baguette de pain, puis via un courrier où aucune substance chimique n’avait été retrouvée par les enquêteurs.

Dans un récent fact-checking, nous avions démystifier l’extravagante affirmation présidentielle du 5 octobre dernier selon laquelle 1,8 million de Tunisiens avaient manifesté dans la rue en soutien au coup de force du 25 juillet dernier.

Des errements rocambolesques qui ont visiblement rendu sceptiques aujourd’hui les médias étrangers, à juste titre, quant à toute information sensationnaliste en provenance d’un pouvoir affectionnant les effets d’annonce de ce type.

Seif Soudani