Tunnel Espagne/Maroc – L’Afrique aussi

 Tunnel Espagne/Maroc – L’Afrique aussi

Au centre : Mustapha Mchiche Alami au Colloque international sur la faisabilité d’une communication fixe à travers le détroit de Gibraltar tenu à Madrid du 9 au 13 novembre 1982.

Quelques médias espagnols ont publié l’information selon laquelle le gouvernement ibérique a décidé de réactiver le projet de relier l’Espagne et le Maroc par un tunnel sous-marin à travers le détroit de Gibraltar.

 

Eldiario a ainsi précisé que la connexion que les deux pays étudient depuis plus de quatre décennies est bien sur les rails puisque le gouvernement espagnol vient d’allouer une enveloppe de 750 000 euros « pour mettre à jour un avant-projet réalisé il y a trois décennies, intégrant les avancées techniques accumulées ces dernières années ».

C’est la société espagnole d’études pour les communications fixes à travers le détroit de Gibraltar (Segecsa), rattachée aux ministère des Transports, qui pilote le projet et qui a été chargée d’entreprendre de nouvelles études sur les infrastructures qui serviront à réaliser le projet commun annoncé en juin 1979, par Hassan II et Juan Carlos Ier d’Espagne.

A l’époque, au lendemain de cette annonce, de nombreuses rencontres scientifiques et autres colloques ont été organisés des deux côtés de la Méditerranée. En raison de la pertinence des idées dans les interventions du Dr Mustapha Mchiche Alami au Colloque international sur la faisabilité d’une communication fixe à travers le détroit de Gibraltar qui s’était tenu à Madrid du 9 au 13 novembre 1982, nous avons publié quelques-unes de ses remarques qui sont toujours d’actualité. L’ingénieur et économiste avait ainsi mis en garde contre une vision à court terme d’un projet qui semblait si gigantesque à l’époque :

« Je dirais ici qu’il faudrait plutôt une étude de prospective un peu audacieuse, qui voit à long terme et même à très long terme. Dans les études proposées, on parle de l’année 1990, on évoque l’an 2000, n’est-ce pas là une vision un peu courte, par rapport à un tel projet ? Ne faut-il pas plutôt parler de 2010, 2020 ou même 2030 ? Bien sûr, on nous dira que ça reste difficile à appréhender mais il y a des méthodes et il y a des moyens pour cela. La question de la faisabilité ici, exige une certaine façon de penser les problèmes, qui est différente de la faisabilité traditionnellement utilisée en matière d’études d’un projet quel qu’il soit ».

Alors que personne ne parlait de l’Afrique, le personnage qui parlait en tant que  représentant de l’association marocaine pour le Conseil de l’ingénierie a mis en garde contre une vision qui n’intégrerait pas la dimension africaine dans le projet :

« Sur le plan géopolitique, je reviens sur le côté africain. J’insiste évidemment sur la nécessité de cibler l’ensemble maghrébin, voir même les pays arabes mais aussi de voir un certain nombre d’ensembles et de sous-ensembles de l’Afrique sub saharienne, il y a une intégration à l’intérieur de ces ensembles et les sociétés nationales du côté marocain comme du côté espagnol gagneraient à se pencher sérieusement sur cette partie prometteuse du continent. Je suggère qu’à l’avenir, il y ait une participation plus massive, je dirais même active de la part des pays africains à ce genre de manifestations.

Malheureusement, on constate que dans les projections qu’on nous a présentées, de nombreux pays enclavés comme le Niger, le Tchad, la République centreafricaine, la Haute-Volta (qui n’était pas encore le Burkina Faso d’aujourd’hui) ont été oubliés. Or ce sont justement ces pays dont l’isolement est largement responsable de leur sous-développement qui ont besoin de relais de communication avec l’extérieur alors qu’ils possèdent des sous -sols riches en minerais. Je pense que ce sont ces pays pour lesquels une telle liaison à travers la trans-saharienne apportera peut-être des solutions censées les désenclaver pour leur permettre d’avoir une communication efficace avec le monde extérieur et notamment le Nord.

Déjà, à l’époque, ce spécialiste mettait en garde contre une vision qui ne tiendrait compte que du point de vue occidental et de ses intérêts les plus étroits. « Je pense que ceux qui pensent le projet cantonné à la coopération entre l’UE et l’Afrique se trompent lourdement. Certes , nous avons besoin de l’Europe comme elle a besoin de nous mais il y a également d’autres possibilités de coopération : la coopération interafricaine, avec les pays socialistes, avec certains pays américains et même dans le domaine technologique avec des pays asiatiques comme l’Inde. Dans le domaine des idées, je crois qu’il doit y avoir une certaine ouverture d’esprit  tout en étant réaliste ne pas oublier de prendre en compte en définitive les problèmes qui concernent en définitive, les peuples africains ».

 

Said Tanjaoui