Deux ouvrages poignants qui témoignent des violences faites aux femmes

 Deux ouvrages poignants qui témoignent des violences faites aux femmes

« Les crimes passionnels n’existent pas » (à gauche) et « Je vous écris avec la chair des mots » (à droite)

Deux ouvrages, une ligne de force : témoigner des violences faites aux femmes. Deux ouvrages, un concept : un entremêlement, une rencontre, un dialogue entre photographie et texte, deux arts se répondant et se renforçant mutuellement dans leur représentation de la douleur. Si « Les crimes passionnels n’existent pas » et « Je vous écris avec la chair des mots » sont mus par un même combat, celui de La défense de la dignité du corps de la femme et de la lutte pour les droits des femmes, les artistes, Arianna Sanesi et Michaël Serfaty, expriment chacun un regard singulier, une sensibilité propre à la représentation et aux questionnements fondamentaux que suscite la condition de la femme.

« L’histoire d’une monstruosité, la banalité d’un crime »

Les crimes passionnels n’existent pas, publié aux Editions D’une rive à l’autre, fait dialoguer le travail photographique d’Arianna Sanesi sur le féminicide avec le texte des historiens Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud. Le point de départ de cet ouvrage ? Le travail photographique « I would like you to see me » réalisé par Arianna Sanesi en 2015, sur le féminicide en Italie, alors que ce terme était pratiquement inconnu et ignoré des médias. 

« Aujourd’hui, dans un contexte marqué à la fois par l’essor récent du mouvement #MeToo et par la comptabilité macabre des femmes mortes sous les coups de leurs conjoints égrenée dans les médias, il convient de rappeler que le féminicide existe avant le mot. Le passé regorge de femmes assassinées seulement en raison de leur sexe. Toutefois, le crime n’était pas saisi dans sa singularité, il était invisible, noyé dans l’ensemble des meurtres et assassinats, il faut donc replacer le phénomène en perspective », écrivent Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud, qui s’attachent à décortiquer « l’histoire d’une monstruosité ». 

Les photographies d’Arianna Sanesi, elles, sont tantôt symboliques, tantôt réalistes, tantôt sombres, tantôt lumineuses… Des plantes, un appartement plongé dans l’obscurité, une femme surplombant des collines, des scènes d’hommages à des femmes tuées… Des clichés aussi suggestifs que puissants, portrayant le drame que sont les violences faites aux femmes.

Au sujet du féminicide, « Si des femmes ont été brutalisées, violées, réduites en esclavage, torturées, tuées depuis des siècles, les logiques de leur mise à mort sont spécifiques : elles ne sont pas tuées de la même manière que les hommes, ni avec la même intensité ni avec une ampleur similaire », expliquent les historiens.

Cet ouvrage crée un éclairage indispensable pour qui veut comprendre le fléau du féminicide.

Édité par d’une rive à l’autre, « Les crimes passionnels n’existent pas » est disponible en librairie depuis le 26 Janvier 2021. Cette maison d’édition, créée en 2019, est née du désir de construire une passerelle entre photographie et sciences humaines, de faire rencontrer les mots de sociologues, d’historiens, d’anthropologues, de philosophes, avec les regards de photographes.

>> Voir aussi : Les soeurs Mirabal et la violence à l’égard des femmes

« Je ne dévoile pas, je crie »

« Dans le secret et le silence de mon cabinet de gynécologie, des femmes ont prononcé ces phrases, dans les larmes et la douleur, dans la honte et l’humiliation. Ou alors très simplement, entre deux silences, les yeux braqués ou les yeux mouillés. Bouleversé, je les ai recueillies et j’en ai fait des images. J’en ai rempli un plein cahier. J’en ai chargé une pleine valise. Pour transmettre, pour dire au monde ces peines là. Pour que la parole de ces femmes ne soit plus tue, plus cachée, plus éteinte. Je ne trahis pas, je témoigne. Je ne révèle pas, je m’insurge. Je ne dévoile pas, je crie ».

Je vous écris avec la chair des mots, publié aux Editions Arnaud Bizalion Editeur est un ouvrage du gynécologue et photographe Michaël Serfaty, qui mène depuis plusieurs années un travail de recueil des mots exprimés par ses patientes, des témoignages qui vont jusqu’à la violence subie, morale, physique, familiale… Mêlant son travail de photographie plasticienne avec les paroles de ses patientes qu’il a immortalisé dans ses carnets, Michaël Serfaty signe une oeuvre poignante sur la condition féminine et la souffrance viscérale qu’accuse la femme violentée, dans son corps autant que dans son esprit. Des douleurs dont Michaël Serfaty se fait le médiateur, en maniant avec brio encre, photographie, fil, ou peinture, ses outils d’insurrection.

En guise de préface, la journaliste photographe Sylvie Hugues écrit : « Il y a là des mots peints à même l’épiderme du papier, des fils qui semblent réparer des corps meurtris, des collages qui associent des objets médicaux et des portraits noirs et blancs… Je reste sans voix ». 

Pour Michaël Serfaty, « Les femmes sont les mêmes, dans mon cabinet de gynécologie et dans les romans de Marie Darrieussecq ». C’est pourquoi l’ouvrage est accompagné du carnet Dialogues comportant des extraits de textes de l’écrivaine Marie Darrieussecq, qui se pose la question : « Que faire maintenant, que faire de tous ces bouts de corps ? »

Une exposition « Je vous écris avec la chair des mots », décalée en raison de la crise sanitaire, sera présentée en 2022. Elle sera pour partie dévoilée cet été dans le cadre du festival Les Promenades Photographiques, à Vendôme, du 3 juillet au 30 août.

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Malika El Kettani