Le féminicide : Balzac l’écrivait, la sociologue Naamane Guessous en parle

 Le féminicide : Balzac l’écrivait, la sociologue Naamane Guessous en parle

Le féminicide est un thème que touche du doigt Honoré de Balzac dans sa nouvelle La Fille aux yeux d’or. « Chez les hommes, l’amour devient une passion : la force mène à l’abus », déclare Henri de Marsay, personnage principal, jeune homme d’une extrême beauté qui « obtenait toutes celles qu’il daignait désirer », et pour qui la femme est « une petite chose, un ensemble de niaiseries ». Lorsqu’il se prendra de passion pour Paquita Valdès et pressent qu’il ne règne pas en maître dans son coeur, il menace de la tuer, « dans cette vanité qui pousse l’homme à rester en tout vainqueur ». Étonnement, ce ne sera pas lui mais la maîtresse de Paquita qui l’assassinera… Balzac tord ainsi le cou aux statistiques qui montrent que les féminicides sont majoritairement commis par des hommes. C’est dans ce cadre que nous avons décidé de donner la parole à Soumaya Naamane Guessous, sociologue et militante féministe marocaine, pour nous éclairer sur le concept du féminicide, un terme qui n’a toujours pas sa place dans le Code pénal, français comme marocain, tout comme bien d’autres pays du monde. 

De tout temps, les meurtres concernant les femmes, considérées comme « objets de possession » dans les systèmes de pensée patriarcale, touchent le monde entier, sans distinction de continent, de pays, de système social ou religieux. Les femmes les plus touchées par ce phénomène se trouvent en Asie, en Afrique, en Amérique latine, et à un moindre degré en Europe et en Océanie. Les associations et collectifs féministes luttent toujours pour mettre sur la place publique le meurtre sur les femmes, trouvant notamment injuste que le terme « féminicide » soit absent du Code pénal.

LCDA : Pourquoi les féminicides ne sont pas reconnus en tant que tels ? 

Soumaya Naamane Guessous : Tout d’abord, il faudrait s’entendre sur le mot féminicide. Il n’y a pas de définition universelle, acceptée de tous, et qui s’applique à tous les pays du monde. Le terme reste très vague et les instances internationales n’ont pas tranché sur la question. Il faut aussi savoir que le terme est récent, ce qui nécessite un travail sur le concept. Des questions subsistent : quelle est la différence entre tuer un homme et tuer une femme ? Dans les deux cas, on a ôté la vie d’une personne, et c’est de l’ordre du pénal.

Dans quelles circonstances pourrait-on parler de féminicide ?

– Quand on parle des « crimes d’honneur », par exemple. Là, il est important de nommer le féminicide. On va tuer une femme parce qu’on considère qu’elle porte l’honneur de la famille, un honneur qu’elle a entaché. Cet honneur, c’est l’honneur de la tribu, du clan, du mari. Et il doit être lavé par le sang féminin. Dans certaines tribus, c’est le père ou le frère de la femme adultérine qui commettront le meurtre. La famille va d’abord laver son propre sang, avant de laver le sang du mari et de la belle-famille. Ce sont des lois archaïques et tribales.

Qu’en est-il de la violence conjugale, ou encore des crimes passionnels ? 

– Dans le cadre de la violence conjugale, on peut aussi parler de féminicide, car bien qu’il y ait des hommes qui sont tués dans ce cadre, les femmes victimes représentent le taux le plus important. La violence conjugale est la deuxième cause de décès des femmes à travers le monde. Dans certains pays, les chiffres sont vraiment très parlants. Concernant les crimes passionnels, il est difficile de les catégoriser, à moins d’avoir des statistiques qui montrent qu’il y a beaucoup plus de femmes qui meurent. Dans ce cas,  on peut trouver des arguments en faveur du féminicide, qui le justifieront. Ces crimes reflètent souvent des histoires d’égo, du pouvoir de l’homme sur la femme, du patriarcat…

Quel est le rôle du système patriarcal dans les féminicides ?

– L’exemple le plus parlant des crimes qui découlent du système de pensée patriarcal sont les crimes d’honneur. Dans certains pays, notamment ceux du Golfe, comme le Bahreïn, les crimes d’honneur ne sont pas considérés comme tels. Ils sont justifiés. Quand il s’agit d’un adultère par exemple et qu’un homme tue sa femme pour cela, on considère que c’est tout à fait normal. Dans les pays du Maghreb, au Maroc, en Algérie et en Tunisie, il n’y a pas du tout de circonstances atténuantes et le crime d’honneur est considéré comme un crime, au même titre qu’un autre. Récemment, les Emirats arabes unis ont aboli une loi protégeant les auteurs de crimes d’honneur. 

Qu’en est-il de la lapidation ? 

– Je pense que les lapidations n’existent plus aujourd’hui. Cela fait très longtemps que nous n’avons pas entendu parler de lapidations, hormis avec Daech, où l’on a pu voir des vidéos circuler. Mais j’ai l’impression que ce n’est plus d’actualité. La lapidation s’appuie sur les premiers versets du Coran, qui mentionnent que l’homme et la femme commettant l’adultère doivent être lapidés jusqu’à la mort. Après, il y a eu le principe dit nasskh, lorsqu’un autre verset annule le précédent. Ce verset supprime cette condamnation à mort. Certains pays ont continué à ignorer ce verset, empêtrés dans des habitudes anté-islamiques de certaines tribus. Ainsi, même s’il y a eu cette abrogation, certains peuples ont continué, non pas sur la base de prescriptions coraniques, mais de traditions, de coutumes locales.

La  justice est-elle plus clémente envers un homme qu’une femme ?

– À l’homme, nous lui trouvons toujours des circonstances atténuantes. Si l’on prend le cas de l’adultère, un homme marié qui commet l’adultère avec une femme célibataire, on va considérer que c’est un petit peu normal. Mais une femme mariée avec un homme marié ou célibataire, cela aggrave considérablement son cas. 

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Malika El Kettani