Samia El Alaoui Talbi, visiteuse divine

 Samia El Alaoui Talbi, visiteuse divine

Crédit photo : Stanislas Klaus


Depuis dix-huit ans, elle passe la majeure partie de sa vie en prison. Elle est aumônier. Ce n’est pas un métier, mais un “engagement sincère” qui occupe à plein temps cette quinquagénaire. 


Quand on lui a proposé de devenir aumônier, cette mère de sept enfants a commencé par refuser. “J’estimais qu’en m’occupant de ma progéniture pendant que mon époux faisait office d’aumônier, en sus de son travail, je contribuais à ma manière à la société”, confie Samia El Alaoui Talibi. Mais lorsqu’on lui fait savoir que des détenues qui venaient de perdre un parent pendant leur incarcération souhaitaient prier pour lui mais ne savaient pas comment s’y prendre, elle décide de les initier. C’était en 2000. Et cette visite, censée être ponctuelle, a vite pris une tout autre tournure.


Aujourd’hui, cela fait presque dix-huit ans que cette ­mathématicienne passe le plus clair de son temps dans les cellules des cinq établissements pénitentiaires du nord de la France en sa qualité d’aumônier local. Parallèlement, elle coordonne 23 prisons au niveau régional.


 


Pas de prosélytisme


Pour mener à bien sa mission, cette quinqua, arrivée en France à l’âge de 21 ans pour poursuivre ses études, ne perçoit aucun salaire. Elle ne reçoit qu’un défraiement limité pour les déplacements qu’elle effectue. Petite-fille d’imam et ­issue d’une famille tangéroise où la pratique religieuse fait partie du quotidien, Samia El Alaoui Talibi n’a pas reçu de formation spécifique pour accompagner des mineurs ou des détenus admis en unité psychiatrique. Elle s’appuie sur son bon sens et son expérience de la vie.


Pour éviter toute accusation de prosélytisme, elle n’intervient qu’à la demande des détenues, et ce quelle que soit leur confession. “Elles me font l’honneur de m’écrire des petits mots où elles m’invitent à venir toquer à leur porte”, dit-elle en sortant des petits bouts de papier de son sac à dos. Les ­raisons pour lesquelles ces femmes ont été privées de liberté, Samia El Alaoui Talibi préfèrent les ignorer. Elle en rencontre une cinquantaine par semaine et privilégie celles qui en ont le plus besoin. “Par exemple, j’irai voir en priorité une femme que je sens sur le point de faire une tentative de suicide ou celle qui décide de mettre un terme aux rencontres au parloir. Je leur offre des cartes postales et des stickers pour qu’elles puissent surprendre leur enfant ou leur mère en lui envoyant un mot pour son anniversaire”, poursuit-elle.


Faire en sorte que le lien ne soit pas rompu, voilà un de ses objectifs. Apporter de l’espoir aussi. “C’est plus facile quand la ­personne est croyante”, reconnaît-elle. Elle n’hésite pas à offrir des petits carnets dans lesquels elle incite les détenues à écrire tous les moments de joie qu’elles ont pu connaître au cours de leur vie. Et, à chaque visite, elle s’enquiert de savoir ­combien de pages ont été noircies. Les visites peuvent durer une ­demi-heure ou une demi-journée. Il n’y pas de règle. “Il y a celles qui ont besoin de parler et celles qui ont besoin de m’écouter. Elles me demandent : ‘Dis-moi ce que tu as à me dire, essaye de m’éclairer. Quand tu pars, tu laisses comme une lumière dans cette cellule’.” 


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Fadwa Miadi