En Tunisie, la guerre des populismes bat son plein

 En Tunisie, la guerre des populismes bat son plein

Abir Moussi

« Un homme, ça s’empêche », écrivait Albert Camus. Face au déferlement de mises en scène grotesques d’un certain nombre d’acteur clés de la scène politique en Tunisie, incarnation de divers populismes, nous pourrions ajouter qu’un démocrate, ça s’empêche.  

 

La scène fait les choux gras y compris de médias étrangers les 4 et 5 mai, dont The Guardian. La députée chef de l’UPL, Abir Moussi, une formation nostalgique de l’ancien régime de Ben Ali, assise dans l’hémicycle vêtue d’un casque de moto et d’un gilet par balle. Menacée physiquement, l’élue compte ainsi protester contre le retrait de sa garde policière rapprochée par l’administration de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Assurée par des agents du ministère de l’Intérieur, cette protection n’est généralement pas autorisée à pénétrer avec les députés faisant l’objet de menaces jusqu’à l’enceinte du Palais du Bardo abritant le Parlement. Mais jusque récemment, Moussi avait pu déroger à cette règle, arguant que les menaces viennent d’une tendance idéologique représentée à l’ARP.

L’égérie de cette frange des destouriens est coutumière du fait. Avant d’attirer l’attention par cet accoutrement, elle s’illustrait quotidiennement par la transmission de ses moindres faits et gestes en direct sur les réseaux sociaux, pour « prendre à témoin les Tunisiens », mais aussi par l’usage d’un mégaphone pour perturber le déroulement des travaux de ce qu’elle qualifie de « Parlement des Frères musulmans ».

Le weekend dernier, Moussi avait sillonné Tunis via un cortège de voitures qui a paralysé les artères de la capitale de longues heures durant.

Restauration et puritanisme, deux alliés objectifs

Mais le folklore de la politique spectacle n’est pas l’apanage des populistes de l’UPL, négationnistes de la révolution de 2011. Un autre folklore, tout aussi burlesque malgré ses apparences de probité, est pratiqué par le puritanisme révolutionniste revendiqué par le président de la République Kais Saïed.

Après un congé payé inexpliqué de 10 jours de disparition, Saïed est réapparu le soir du 1er mai à Kasserine, au pied du Mont Chambi, où il s’est invité pour rompre le jeûne avec les militaires postés là dans le cadre de la veille anti-terroriste.

Une visite sans grand rapport une éventuelle empathie avec ces soldats, qui intervient dans le seul cadre du bras de fer politicien entre le président et l’autre versant de l’exécutif (le gouvernement), Kais Saïed souhaitant s’arroger le contrôle de l’ensemble des forces armées.

Aussi improbable que cela puisse paraître de la part d’un chef d’Etat d’un pays toujours en guerre contre le terrorisme, l’autre but déclaré de cette visite était d’établir un parallèle conspirationniste entre les terroristes djihadistes et les adversaires politiques personnels du président : « Il y a plus dangereux que les terroristes : ce sont ceux qui tentent d’interpréter la Constitution à leur guise, cela aussi c’est du terrorisme ! », a lancé Saïed en direction d’un général. Une hiérarchisation des périls éthiquement plus que problématique.

Dans son empressement à marquer des points politiques, la présidence de la République s’est rendue coupable d’une incroyable bourde communicationnelle : non seulement photographier une zone militaire fermée est strictement interdit, mais le service com’ du Palais a tout simplement omis de masquer les visages des officiers et soldats. Un amateurisme qui expose leur vie et celle de leur famille.

Défiance à l’égard de la vaccination anti-Covid  

Visiblement grisé par l’ivresse d’un pouvoir fortuit, le président Saïed, dont les gesticulations corporelles frénétiques ont été comparées par des internautes à celles de certains dirigeants fascistes des années 40, a asséné une autre phrase polémique :

« Non, nous ne nous sommes pas précipités sur le vaccin car nous n’avons pas peur du Coronavirus ! ». Croyant d’abord à un malentendu, des médias locaux ont contacté Carthage dès le lendemain pour avoir confirmation de la position présidentielle s’agissant de l’effort vaccinal en cours.

Le conseiller diplomatique à la présidence de la République, Walid Hajjem, a alors confirmé le 3 mai que le président Saïed a refusé de recevoir le vaccin, et qu’aucun employé de la présidence n’a bénéficié des 10 mille doses qui leur sont théoriquement imparties, conformément à la posture présidentielle du refus de tout vaccin en priorité.

Ce n’est pas une surprise lorsqu’on connait le rapport sceptique entretenu par les régimes les plus populistes dans le monde vis-à-vis de la vaccination. Que ce soit dans la Hongrie de Viktor Orban ou le Brésil de Jair Messias Bolsonaro, réfractaires dans un premier temps au vaccin et aux mesures anti-Covid, le virus le leur rend bien, puisqu’il y prospère.

De la même façon que Kais Saïed pose opportunément en faisant sa prière face caméra ou en s’enregistrant dire « je ne mangerai rien avant que tous les soldats finissent leur repas », le même signalement de la vertu est à l’œuvre lorsqu’il publicise son refus du vaccin.

Sous des abords d’amour du peuple, les leaders populistes ont en réalité un profond mépris pour leurs peuples respectifs. Le hors sujet de Kasserine, en pleine lutte contre le Covid, mais aussi le retard pris par la Tunisie en matière de campagne vaccinale, sont en soi des preuves à part entière de ce mépris.

 

Seif Soudani