La disparition médiatique du président Saïed inquiète les Tunisiens

 La disparition médiatique du président Saïed inquiète les Tunisiens

Mais où est donc passé le président de la République Kais Saïed ? Cela fait maintenant plus d’une semaine, exactement 8 jours, que le chef de l’Etat tunisien est aux abonnés absents. A l’apogée de la crise sanitaire et économique que vit le pays, les Tunisiens réclament des comptes.

 

La dernière activité documentée par la page officielle du Palais de Carthage remonte ainsi au soir du 22 avril, lorsque le président recevait le ministre égyptien des Affaires étrangères, en guise de suivi de la visite officielle de Saïed au Caire. Visite durant laquelle les réseaux sociaux de la présidence tunisienne avaient été particulièrement prolixe, allant jusqu’à poster une dizaine de publications par jour, ce qui laissait augurer d’un nouveau style d’abondance communicationnelle. Mais il n’en est rien.

Silence radio et spéculations diverses

A l’issue d’une année et demie de mandat, on sait aujourd’hui qu’en dehors de ses envolées lyriques et littéraires durant ses discours, le président Saïed est une personnalité introvertie, aimant à cultiver le mystère autour de l’action présidentielle qu’il conçoit comme seule contre tous. Ce type de gouvernance populiste, portée sur le complot, est aussi motivé par une profonde paranoïa, comme en attestent les étranges allégations du Palais à propos de multiples tentatives d’empoisonnement jamais prouvées à ce jour.

Nous avons par le passé compté un nombre de 4 à 5 jours d’inactivité totale de la communication présidentielle. Mais aujourd’hui, en pleine confrontation ouverte entre les deux appareils exécutifs que sont le gouvernement et la présidence, le silence du Palais alimente les théories les plus folles.

Une porte ouverte à toutes sortes d’interprétations, d’autant que cette fois le président n’est pas le seul à se taire. Dans son entourage, sa controversée chef de cabinet Nadia Akacha, qui a depuis peu sa propre page certifiée sur Facebook, observe le même mutisme depuis le 12 avril. Le frère du président Naoufel Saïed, d’ordinaire si bavard sur le web, s’est également abstenu de publier quoi que ce soit durant cette même période. Le président a-t-il intimé l’ordre à ces encombrants soutiens de se taire ?

Un obscur Etat parallèle

Seule intervention publique de Naoufel Saïed depuis une semaine, en date du 28 avril, une citation du politologue Vincent Geisser, dans laquelle ce dernier fustige la politique monétaire du FMI. Une indication claire sur l’entêtement du camp présidentiel à saborder les efforts de lobbying du gouvernement Mechichi, la veille d’une mission gouvernementale à Washington où il s’agira de requérir un sauvetage en urgence auprès du FMI.

Le 14 avril dernier, la députée Amel Ouertani avait révélé que le Palais de Carthage œuvrait à empêcher les bailleurs de fonds de la Tunisie de traiter avec le gouvernement Mechichi, en décrédibilisant cette équipe que le Palais présente en coulisses comme éphémère et illégitime.

Il est de notoriété publique que l’Etat tunisien opère un travail de sape contre une autre composante du même Etat. A l’aune de cette situation délétère, la disparition du président Saïed n’en est que plus préoccupante, d’aucuns l’interprétant comme le signe d’un calme avant une tournure encore plus belliciste de la cohabitation hostile qui paralyse déjà le pays.

« Notre crainte est de voir le pays sombrer dans un scénario à la libyenne, où il y avait un pouvoir à Tripoli et un autre à Benghazi », commentent plusieurs chroniqueurs.

D’autres encore pensent que Kais Saïed pourrait être souffrant ou observerait une pause ramadanesque, sorte de congé payé payé par le contribuable. Il est vrai que durant ses dernières sorties publiques, voire tout au long de l’année écoulée, le président n’a jamais fait preuve de prudence ni ne s’est conformé à l’obligation du port du masque. Le 20 avril, lors de son dernier déplacement dans une mosquée, un lieu où il tient à s’afficher régulièrement, les photos publiées par la présidence le montrent en pleine insouciance, sans masque, comme dans l’ancien monde, échangeant des dattes de la main à la main avec les fidèles.

Le 20 avril, nous apprenions qu’un nouveau projet de loi amendant le code électoral déposé par des députés Ennahdha propose de retirer au président de la République la convocation des électeurs pour les municipales, les législatives et la présidentielle, au profit du chef du gouvernement. Une réaction aux velléités présidentielles obstructionnistes, mais qui tend à exacerber la crise politique en cours.

Quelles qu’en soient les raisons, l’éclipse présidentielle, insultante à l’égard des citoyens, contraste avec l’action publique quasi quotidienne des chefs d’Etat dans le monde, dont la com’ volontariste constitue un minimum syndical dans la guerre menée contre la pandémie. Le président de la République Kais Saïed serait bien inspiré de ne pas oublier son statut de haut fonctionnaire au service de ses électeurs qui lui doivent ne serait-ce que davantage de transparence sur le devenir de leur pays.

 

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Seif Soudani