Immigration : thème mobilisateur mais déconnecté de la réalité

 Immigration : thème mobilisateur mais déconnecté de la réalité

La domination de la thématique révèle un impensé de la France qui ne s’assume pas comme pays d’immigration. Photo AFP.

À droite et à l’extrême droite, le sujet de l’immigration est omniprésent dans la campagne présidentielle. Une place démesurée dans le débat, au regard des chiffres, mais révélatrice d’un « impensé » de la France. Le pays ne s’assume pas comme pays d’immigration, estiment historiens et démographes.

Le sujet migratoire est partout dans les médias et les discours en pleine course à l’élection présidentielle. Il est même à l’origine du phénomène électoral le plus marquant de cette campagne. Faisant sa chasse aux voix en axant son discours sur l’immigration, Éric Zemmour est aujourd’hui un postulant sérieux pour le second tour. Au coude à coude avec Marine Le Pen, pour laquelle la migration est également un thème central.

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Une ampleur qui interpelle les spécialistes. Même si le thème est un grand classique des scrutins présidentiels, il est complètement déconnecté de la situation du pays en matière de flux migratoires. Le « pourcentage d’immigrés, la réalité de l’immigration, n’a jamais eu de rapport avec l’omniprésence de la question dans certaines franges politiques », explique à l’AFP l’historien Pascal Blanchard. Selon lui, « c’est un sujet cyclique et nous sommes au pic d’un cycle ».

 

Pays d’immigration qui ne s’assume pas

Aujourd’hui, le niveau de la demande d’asile, symboliquement scruté depuis la crise migratoire de 2015, a bien atteint un record en 2019 (151 000 dossiers), qui n’a reflué depuis qu’en raison de la pandémie. Mais dans l’ensemble, la France est revenue dans le rang. Elle est en dessous de la moyenne par le nombre d’étrangers sur son sol (7,6 %), 15e sur les 27 pays de l’Union européenne d’après Eurostat.

Mais, comme de nombreux thèmes de campagne, l’épouvantail migratoire s’adresse moins à la raison qu’aux émotions. Son explosion s’appuie aussi sur « un impensé français » : « Nous sommes historiquement un grand pays d’immigration qui ne s’est jamais pensé comme un grand pays d’immigration », estime M. Blanchard. Là où le voisin allemand, par exemple, s’assume comme « pays d’assimilation », fut-ce en invoquant la « rationalité économique », ajoute-t-il.

La conséquence est que cette peur d’une fantasmée submersion est un mobilisateur très puissant. Notamment en période de crise économique lorsque les franges populaires ont le sentiment de vois leur niveau de vie se dégrader.

 

Amalgame entre immigration, islamisme et quartiers populaires

Dans le passé, la gauche est parvenue à contrer ce discours identitaire en privilégiant la question sociale et en l’élargissant aux questions humanitaires », relève Gérard Noiriel, historien spécialiste de l’immigration. Pour lui, « ce qui distingue le plus notre époque, ce n’est pas l’ampleur de l’immigration, mais la tension de plus en plus vive entre un champ politique qui reste national et les autres sphères d’activité qui sont déjà fortement mondialisées », comme l’économie ou l’immigration. Il s’est en outre créé un amalgame entre « immigration, islamisme, quartiers populaires », reprend Pascal Blanchard. Tout cela « fabrique une matrice » qui infuse dans la société.

Cette imprégnation de l’imaginaire collectif fait résister le discours sur l’immigration à l’épreuve de la vérification. Le sujet n’est donc plus de savoir combien il y a d’immigrés en France. Pour certains électeurs « qu’ils soient 7 %, 10 % ou 14 %, c’est de toute façon trop. Ce n’est pas rationnel, ça joue sur des réalités visuelles, comme lorsqu’on a entendu que l’équipe de France (de football) n’était plus l’équipe de France, car il y a trop de Noirs », résume l’historien.

 

L’impasse de la bataille des chiffres

« Ne parler que de chiffres est une impasse », juge également l’actuel patron de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Didier Leschi. Le « décalage complet entre la réalité de l’immigration, relativement faible, et le ressenti ou l’affirmation » d’une pression migratoire insoutenable donnent à cette campagne « un côté anachronique », abonde le démographe Hervé Le Bras.

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« En 2019, selon l’Insee, il y a eu 109 000 immigrés de plus en France. Alors sur 67 millions de Français, combien de temps faudra-t-il pour qu’il y ait un grand remplacement ? » Pourtant 27 % des Français placent l’immigration dans le top 3 de leurs priorités en vue des prochaines élections. Soit 6 points de plus que l’emploi et 16 points de plus que la protection sociale.

Rached Cherif