Kamel Mouellef : « Il n’y a pas un endroit où on ne s’est pas battu pour la France »

 Kamel Mouellef : « Il n’y a pas un endroit où on ne s’est pas battu pour la France »

C’est un travail de mémoire acharné qu’effectue depuis plusieurs années maintenant Kamel Mouellef, président de l’association « Déni de mémoire ». Après sa première bande-dessinée « Turcos, le jasmin et la boue  », qui rappelait l’histoire des combattants Nord-Africains du XIX et XXème siècles au sein de l’armée française, Kamel Mouellef a signé en avril 2015 une nouvelle BD, « Résistants oubliés », pour rappeler aux Français l’implication de ces héros coloniaux maghrébins de la résistance française. Pour ce faire, « Résistants oubliés » compile photos, articles, témoignages et archives pour raconter leur histoire et les remettre à l’honneur. Comme l’auteur l’explique, l’idée est de rappeler leurs sacrifices pour la France, en ces temps difficiles caractérisés par la montée de l’extrémisme des deux bords, dans un but de réconciliation mémorielle. Entretien.

LCDA : Comment est née l’idée de votre projet ?

Kamel Mouellef : Cette BD, je l’ai réalisée car j’avais rêvé de mon arrière grand-père, qui est mort lors de la Première Guerre Mondiale. Dans mon rêve, il m’a dit qu’il fallait que je vienne me recueillir sur sa tombe.  C’est alors que je vais voir ma grand-mère en Algérie, qui me sort des photos… Il s’est avéré que c’était le même personnage dont j’avais rêvé.

J’ai alors commencé mes recherches, puis je l’ai retrouvé sur un site, Mémoire des hommes, ainsi que le lieu où il a été enterré, près de Soisson. En visitant les cimetières de la région, j’ai découvert que des Mohammed, il y en avait des milliers. Alors j’ai fait ma première BD, puis ma seconde, pour rappeler leur existence. Ces combattants, notamment de la résistance française pour « Résistants oubliés », n’ont été cités dans aucune commémoration, et encore moins dans les manuels scolaires.

J’ai donc entrepris ce travail de mémoire car j’en ai marre que l’on nous montre du doigt. Depuis notre naissance, ça n’en finit pas. Malgré tout ce qu’on a fait pour la France, on est toujours considéré comme des indigènes. À l’époque on m’avait dit : « Tu feras un jour un travail de mémoire, ça évitera une guerre civile en France ». Oui ça évitera peut-être une guerre civile de faire admettre aux Français qu’il y a eu des gens qui s’appelaient Mohammed ou Ahmed, qui se sont battus, qui ont été déportés et qui ont sauvé la France. 

Qu’avez-vous découvert lors de vos recherches ? 

J’ai tout d’abord découvert qu’il n’y avait pas un endroit où on ne s’est pas battu pour la France. Que ce soit au Sénégal, au Maroc, en Tunisie, les Algériens ont été avec l’armée française sur toutes les colonisations. Ils étaient appelés sous les drapeaux, alors qu’ils n’étaient pas français.

J’ai découvert qu’on s’était battu contre les Prussiens, qu’on avait libéré le Vatican et l’Italie en 1862, que Napoléon III nous a intégrés dans la garde impériale, qu’on a combattu au Mexique… Et puis, après la première Guerre Mondiale, se sont rajoutés les Marocains, les Tunisiens, les Sénégalais, etc.

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Quid des « Résistants oubliés » ?

J’en ai appris énormément sur plusieurs personnages. Par exemple, j’ai découvert Adiba, un Guinéen musulman qui a sauvé des juifs en les amenant en Suisse ; l’imam de Lyon : j’ai trouvé des documents datant de 1946, où le ministre de l’Intérieur dit qu’il faudra remercier l’imam Belhaj El Maafi, car malgré les risques encourus, il a fait des faux-papiers à la communauté israélite de la région de Lyon, des gens qui étaient recherchés par la Gestapo ; l’imam et résistant de Paris Abdelkader Mesli, qui a sauvé des centaines de juifs durant la Shoah ; le Marocain Abdessalem qui était dans les grottes de la Luire en tant que résistant pour protéger les blessés des maquisards français ; les goumiers marocains dans les Ardennes : sans eux, les Américains ne seraient jamais passés. Il faut voir ce qu’ils ont enduré dans cette bataille… ; le sous-préfet Chérif Mécheri, bras droit de Jean Moulin, qui avait refusé de donner le nom des juifs à Pétain. La milice était venue et ils l’ont tabassé pendant des jours et des jours. Heureusement, Jean Moulin, par ses relations, avait réussi à le faire sortir.

On s’aperçoit qu’il y avait Jean Moulin, mais il y avait aussi Jean Mohammed, Jean Mamadou… La résistance, c’est ça. Il y a des personnes qui ont des cartes de résistant et qui ne sont pas reconnus. On ne retrouve pas de traces, sauf des documents qui appartenaient aux familles, ou des documents qui ont été archivés. Ce genre d’histoires, j’en ai des dizaines et des dizaines, mais on n’en dit pas un mot. Il faut apprendre cela aux jeunes, que des musulmans ont sauvé des juifs. Et c’est normal. 

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L’ignorance est-elle la cause du climat délétère actuel ? 

Elle en fait partie. Vous prenez un Ciotti qui vous dit : « Ah, nous on a su s’intégrer… » Il n’y a qu’à se rappeler le massacre en 1893 à Aigues-Mortes dans le sud : cent Italiens ont été tués par les Français. À Marseille, pogrom au XIXème siècle : trois jours de chasse à l’Italien. J’ai, moi, des photos à Rome où des goumiers marocains, des tirailleurs algériens, tunisiens, sénégalais, libèrent Monte Cassino. J’aurais une question à poser à ce monsieur : est-ce que vous, vos grands-parents, ils étaient avec l’armée française ? Parce que nous, oui. Des Maghrébins, des Africains, on était avec l’armée française. Mais pour des gens comme lui, les héros coloniaux de la résistance, ils n’aiment pas cela. Pourquoi ? Parce que cela fait de nous les égaux de Jean Moulin. Pour eux, la résistance française c’est des blancs. Eh bien non. Il y avait aussi d’autres gens. La France, on en fait partie, même si ça ne leur plaît pas.

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J’en veux aux politiques, mais aussi à notre communauté… On n’est pas foutu de s’organiser pour faire valoir nos droits. Dans les collèges, j’explique qu’il y a eu des milliers de Français qui ont aidé les Algériens à être indépendants, qui se sont battus pour que nous puissions retrouver nos droits. Respectez les alors ! C’est comme les gens qui t’assènent : « Mais tu es un harki toi ». Et moi de leur répondre : « Mais toi aussi tu es un harki ! Qu’est-ce que tu fais en France ? ». À partir du moment où l’on ne peut pas retourner dans notre pays d’origine, s’installer, travailler et vivre correctement, alors oui, on est un harki. Tout ce qu’ont fait mes aînés pour l’indépendance de l’Algérie, cela ne sert à rien, puisqu’on est encore là. Et tous ceux qui traversent la mer, qui arrivent à passer en France, et dont la première chose qu’ils font est d’ériger dans tous les coins de rue le drapeau qu’ils détestent tant en Algérie… Il y a de la provocation et de la faute dans les deux camps. Le fait est qu’il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. La majorité des jeunes issus de l’immigration ne sont pas des délinquants, ni des extrémistes. Nous, on travaille, on paie nos impôts et on respecte la République. Mais on nous montre toujours du doigt. J’aimerais leur dire : on vous a libéré la France. Si on n’y était pas, la France ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.

« Résistants oubliés » de Kamel Mouellef, Olivier Jouvray et Baptiste Payen 
Editions Glénat
64 pages, 15.50 euros.

Malika El Kettani