Lettre ouverte de Edgar Morin à Faouzi Skali – « Vivre des moments inoubliables d’émotion littéralement sacrée »

 Lettre ouverte de Edgar Morin à Faouzi Skali – « Vivre des moments inoubliables d’émotion littéralement sacrée »

Faouzi Skali (FADEL SENNA / AFP) – Edgar Morin (Eric Dervaux / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Faouzi Skali, président du Festival de Fès de la culture soufie, professeur d’université, anthropologue, écrivain, est également derrière la fondation en 1994, du Festival de Fès des musiques sacrées du monde. Grande figure de la spiritualité, ce spécialiste du soufisme avait été sélectionné par l’ONU, pour l’année 2001, parmi les sept personnalités mondiales ayant contribué de façon significative au dialogue des civilisations, de même qu’il a été désigné membre du Groupe des sages, créé à l’initiative du président de la Commission européenne Romano Prodi, en 2003. De même qu’il avait été promu au Sénat français, Chevalier de la Légion d’honneur en 2014.

 

Lettre ouverte d’Edgar Morin à Faouzi Skali

Cher Faouzi,

je tiens à t’exprimer toute mon admiration pour la création et pour l’organisation du Festival des Musiques sacrées de Fès et de son forum ainsi que du Festival de la Culture Soufie auxquels tu  m’as fait l’honneur et l’amitié de m’inviter. Nous nous sommes connus en 1997, à l’occasion d’un grand colloque dédié aux cultures spirituelles du monde, près de Grenoble, évoquant déjà notre intérêt commun autour de ces questions.

Ces rencontres de Fès m’ont fait alors vivre des moments inoubliables d’émotion littéralement sacrée en communion avec ce qui élève et transcende notre humanité mais aussi, nourries par cette dimension artistique et spirituelle, des réflexions approfondies autour de l’état actuel du monde et de ses perspectives d’avenir.

Cette approche d’allier l’émotion esthétique, la notion du beau et du juste, à l’intellect et à la spiritualité – à toutes les spiritualités – pour déboucher sur de possibles actions communes, est au cœur de la nécessaire mise en œuvre de ce que j’ai appelé une pensée complexe  et en pleine résonance avec ces projets magnifiques qui sont réalisés à Fès.

Le Maroc est de ce point de vue l’un des rares lieux où une liberté de créer de la société civile, dont tu es un représentant, ait pu aboutir sur la durée à créer un espace de pensée et de partage aussi inspirant.

Ces rencontres ont répondu à la grande intention de réinsuffler à Fès, cette ville héritière de l’esprit de l’ancienne Andalousie, à un moment où le monde en a bien besoin, un pont de fraternisation entre cultures et religions souvent ignorantes les unes des autres. Accomplissant ainsi  la plus noble mission, qui est de promouvoir la compréhension entre femmes et hommes de tous pays et de faire en sorte que l’étranger cesse de demeurer étrange pour devenir compatriote en humanité.

Montaigne disait « je vois en tout homme un compatriote ». Cette formule prend un sens concret et vital en notre siècle. Nous sommes les enfants de la Terre Patrie.

Tu as organisé lors de ces festivals des conférences, des dialogues et des colloques auxquels j’ai eu la joie de participer. Des liens se sont créés, d’où sont nées des amitiés durables. Et comment ne pas mentionner que c’est lors du festival de la Culture Soufie, en 2009 que j’ai retrouvé Sabah, perdue de vue depuis des années, désormais ma compagne et mon épouse. Un appel du destin qui me rapprochait plus que jamais de cette terre marocaine qui m’est chère et des enjeux et effervescence culturels et humains qui s’y produisent et que nous suivons avec les plus grands enthousiasme et intérêt.

Tu as, mon cher Faouzi, mené tous ces projets qui ne sont que la face concrète d’une vision et pensée créatives, avec une probité et une intégrité appréciées et reconnues de tous.

Tu as choisi de ne pas rester dans les limites de la recherche et de la méditation mais d’œuvrer d’une façon tangible avec d’autres à la nécessaire émergence d’un humanisme spirituel face aux défis de notre temps.

Tu as accompli cette mission de façon exceptionnelle, et nous sommes de ceux innombrables qui formulons le vœu que ce patrimoine vivant, qui fait partie  désormais de l’histoire contemporaine de Fès, puisse continuer à prospérer et à porter ses fruits pour le Maroc et dans le monde .

Avec mon hommage amical et celui de Sabah,

Edgar Morin

La rédaction