Cet édito sur le voile qu’un grand magazine a refusé de publier

 Cet édito sur le voile qu’un grand magazine a refusé de publier


Il y a quelques temps, un grand magazine français demande à l’écrivaine Saphia Azzeddine de pondre un édito sur le voile. Le nom du journal restera anonyme selon la volonté de la romancière. « Ca devait être au moment du Burkini, de Décathlon, ou du « combat » d’Elisabeth Badinter contre "la mode islamique", se souvient l’auteure du très remarqué « mon père est une femme de ménage ». « Et puis, ils se sont excusés et ne l’ont pas publié », enchaine Saphia Azzeddine. Elle comprend très vite que c'est le fond du texte qui pose problème. « Ils ne s'attendaient sûrement pas à ce que j'écrive cela ».


En réaction à la violente agression d’un élu RN envers une maman voilée qui accompagnait son fils ce vendredi 11 octobre à une sortie scolaire au conseil régional de Bourgogne Franche Comté, l’écrivaine a décidé de poster sur les réseaux sociaux l’édito censuré. Le Courrier de l’Atlas a décidé d'en faire de même.  Voici dans son intégralité le texte de Saphia Azzeddine.


« Lorsqu’on m’a demandé de rédiger un édito sur le voile, je m’en suis d’abord réjouie puis j’en ai presque été désolée. Écrire là-dessus pour la énième fois, c’est aussi participer à cette vieille polémique aux allures de croisade qui, sous des oripeaux respectables, ne fait que gangréner le dialogue entre les citoyennes et les citoyens.


De quoi parle-t-on au juste ? Du voile en lui-même ou de sa capacité de diversion dans les médias ?


Ma première réaction, lorsque le « débat » fut « relancé », a été celle-ci : pourquoi les féministes ne mettent-elles pas leur énergie ailleurs ? Pourquoi ces femmes de pouvoir sont-elles si promptes à défendre les musulmanes voilées de la terre entière quand, à nos portes, des femmes battues, violées, prostituées ou dans une extrême précarité s’essoufflent (et pour 200 d’entre elles, rendent l’âme) ?


On se lasse de ce féminisme bourgeois qui ne demande pas beaucoup d’investissement finalement. Comme un placement sans risque avec un beau capital sympathie à la clé car soutenir les femmes musulmanes opprimées, oh ça c’est important pour lutter contre l’islamo-fascisme, deux mots que les nouveaux communicants s’appliquent à ne plus séparer d’ailleurs.


Ah, on les aime les musulmanes opprimées, on les aime là-bas en Iran et on les aime ici en banlieue, avec dans le rôle du bourreau, toujours les mêmes, le père, le frère ou le cousin et dans le rôle de l’émancipateur, l’intellectuel, la Femen, idiote utile par excellence, les hommes politiques ou la bourgeoise entre deux cours de barre au sol.


Pourquoi est-ce si difficile d’accepter qu’il y ait des femmes qui ne se reconnaissent pas dans la société pornographique dans laquelle nous vivons ? Refuser, même si le moyen est imparfait, de subir la pression de la beauté, de la jeunesse, de la minceur et de l’hypersexualité, interpelle et c’est une bonne chose.


En quoi l’exposition à outrance d’un corps est-elle plus tolérable que sa dissimulation ? Laissons les femmes s’habiller comme bon leur semble. Comme si la soumission à un homme se réduisait au seul port du voile.


Quelle serait alors la prochaine étape ? Entrer dans leurs foyers ? Sur quelle étude se base-t-on pour dissocier celles qui le portent par choix et celles qui le portent par obligation ? A-t-on des chiffres ? Une enquête valable ?


En tout cas, et pour essayer d’élever le débat, ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est qu’encore aujourd’hui, que l’on soit madone ou Madonna, une femme ne s’envisage que dans le regard de l’homme. Et cela, c’est proprement désastreux. » 


 

Nadir Dendoune