2018 : un mauvais cru pour la liberté de la presse, bonne année pour les fake news

 2018 : un mauvais cru pour la liberté de la presse, bonne année pour les fake news

Un journaliste couvrant la crise ukrainienne (illustration).


En 2018, 80 journalistes ont été tués, 348 sont actuellement en détention et 60 sont otages. Des chiffres en hausse qui traduisent une violence inédite contre les journalistes, selon le rapport annuel de Reporters sans frontières (RSF) consacré aux exactions commises contre les journalistes dans le monde. Dans le même temps, les « fake news », ou « infox » en français ont encore gagné en influence, notamment grâce à la puissance des réseaux sociaux.


Les violences commises contre les journalistes en 2018 dans le monde sont en nette hausse. L’année a été particulièrement meurtrière avec 80 journalistes professionnels ou citoyens tués en accomplissant leur mission, soit six de plus qu’en 2017, selon le rapport de l’ONG RSF. « Les assassinats très médiatisés de l’éditorialiste saoudien Jamal Khashoggi ou du jeune journaliste de données slovaque Jan Kuciak ont mis en lumière la détermination sans limites des ennemis de la liberté de la presse », estime l’organisation dans un communiqué.


« Tous les voyants sont au rouge », s’alarme Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. L’inquiétude est d’autant plus grande qu’un nombre croissant de leaders politiques ou de personnalités influentes n’hésitent plus à remettre en cause le travail des médias, voire à menacer les journalistes ; ce qui se traduit par l’accroissement de la défiance et de l’hostilité vis-à-vis des journalistes sur le terrain. « Ces sentiments haineux légitiment ces violences et affaiblissent, un peu plus chaque jour, le journalisme et, avec lui, la démocratie », estime RSF.


49 des journalistes tués ont d’ailleurs été délibérément visés, alors qu’une trentaine sont morts dans l’exercice de leur profession. Les pays en guerre comme l’Afghanistan (15 morts) et la Syrie (11 morts) restent les plus dangereux pour la profession. Fait notable : l’entrée des États-Unis parmi les pays les plus meurtriers au monde après la fusillade sanglante contre la rédaction du Capitol Gazette, rappelle RSF.


Le nombre de journalistes emprisonnés est également en nette hausse 348 en 2018 contre 326 en l’année précédente. « Cinq pays détiennent à eux seuls plus de la moitié des journalistes emprisonnés : L’Iran, l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Turquie et la Chine », selon les chiffres de l’association.


 


S’informer ou se désinformer sur les réseaux sociaux ?


Coïncidence ou Corrélation ? Alors que la pratique du métier de journaliste est de plus en plus dangereuse, les « fake news » ou « infox » ont le vent en poupe. De la présidentielle brésilienne aux « gilets jaunes » en France, leur influence est toujours croissante, portée par la puissance de dissémination et d'exposition des réseaux sociaux.


Popularisée par Donald Trump, l'expression « fake news » est devenue une arme rhétorique pour attaquer les médias. Elle est de plus en plus reprise par les politiques en Espagne, en Chine ou en Birmanie. Elle désigne ainsi tout et n'importe quoi, qu'il s'agisse de fausses informations volontairement produites pour nuire, de pastiche, de maladresses ou d'erreurs, mais aussi d'informations recoupées et vérifiées que l’on veut décridibiliser.


Quantité d'images sont ainsi détournées pour leur donner un autre sens : on dénonce ainsi les violences policières en France pendant le mouvement des « gilets jaunes » avec une photo d'une manifestante le visage rouge de sang prise il y a plusieurs années en Espagne.


Nouveauté en 2018 : l’« infox » créée délibérément par un gouvernement. Fin mai, l'Ukraine a mis en scène la « fausse mort » du journaliste russe Arkadi Babtchenko pour, selon les autorités, empêcher une tentative d'assassinat le visant. « Du pain bénit pour les paranoïaques et complotistes de tout poil », s'est inquiété le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire.


La crainte grandit à mesure que ces nouveaux modes de diffusion de l’information et de la désinformation minent la confiance dans les médias et les institutions. La viralité des fausses informations s'appuie en effet sur une confiance faible, quoique stable, dans les médias : 44 %, d'après une étude de l'institut de sondage YouGov pour le Reuters Institute dans 37 pays à travers le monde. Le chercheur John Huxford (Illinois State University) explique que les réseaux sociaux peuvent amplifier la désinformation en agissant comme « chambre d'écho », « donnant de la crédibilité » aux articles par le simple fait qu'ils sont très partagés. Les « fausses nouvelles » tendent à se propager beaucoup plus rapidement que les vraies informations sur Twitter, a en outre relevé une étude du MIT.


Le scandale Cambridge Analytica, entreprise qui a exploité les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook afin d’orienter leurs opinions, devrait pourtant alerter le public sur ce qui circule sur les réseaux sociaux. Pour éteindre l’incendie, le géant américain a notamment accentué en 2018 une offensive autant communicationnelle que technique entamée fin 2016, en signant des contrats avec plus de 35 médias dans 24 pays comme pour qu'ils « évaluent la justesse des articles » circulant sur Facebook. Il assure ensuite être en mesure de réduire la propagation des fausses informations.


Mais malgré les initiatives de « fact-checking » qui se multiplient (162 dans le monde recensées par le Reporters Lab de la Duke University), et les mesures engagées, aux résultats encore faibles, la désinformation a souvent un coup d'avance.


Rached Cherif


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