Billet. Notre langue maternelle, le Tunisien

La députée tunisienne Karima Souid, élue en France pour représenter une partie des Tunisiens émigrés, a été prise à partie et ce n’est pas la première fois, parce qu’elle parle en arabe dialectal et en français, dans l’enceinte parlementaire.

Fini le temps de Bourguiba où l’arabe tunisien avait ses lettres de noblesse.

Depuis l’arrivée d’Ennahdha et du CPR, le seul arabe qui tient le haut du pavé est une sorte d’arabe littéraire ou classique. Quelques mots en dialecte sont tolérés, mais point trop n’en faut.

Des personnalités comme Abdelfattah Mourou, s’exprimant dans un bel arabe dialectal, parfaitement tunisien, agréable à entendre, et qui pénètre l’âme et l’esprit, sont des exceptions.

Comme Mourou, les publicitaires sont les vrais héritiers de Bourguiba. Comme lui, ils sont pragmatiques. Les publicitaires ne parlent pas pour construire des phrases et montrer qu’ils ont une bonne connaissance de l’arabe ; leur objectif est de passer un message, et ils savent qu’il faut parler le langage de sa cible.

Il y a une élite linguistique arabophone, qui est convaincue d’être majoritaire (mais qui ne l’est pas) qui exerce une sorte de tyrannie à l’égard de ceux qui veulent parler Tunisien ou même une autre langue telle que le français (Karima Souid n’a pas choisi cette langue, elle l’a subie). Or, la démocratie n’est pas la dictature de la majorité, c’est le respect des droits des minorités.

La majorité des Tunisiens serait d’ailleurs plus à l’aise avec le dialecte local, qu’avec un arabe classique ou moderne. Dans les pays arabes qui en ont fait l’expérience, les séries télévisées ou les films doublés en dialecte local, battent tous les records d’audience.

Dans tous les pays arabes, cette grave problématique linguistique est ignorée, bien peu ont le courage de la reconnaître.

Nous autres, nés arabes, apprenons une langue maternelle que nous n’avons pas le droit d’utiliser dans tout ce qui est officiel.

Nous grandissons dans le mépris de notre langue maternelle.

Résultat : dans ce qui est officiel, nous sommes censés utiliser une langue qu’aucun individu arabe ne parle chez lui, dans sa vie courante. Chaque pays arabe a développé son propre dialecte.

Imaginons qu’il existe des journaux télévisés, de la presse écrite, des romans, en arabe dialectal. Eh bien, nous pourrions éradiquer l’analphabétisme en une année. Car il suffirait d’apprendre aux gens non pas une langue, mais l’alphabet et ils liraient facilement ce qui est écrit dans leur langue maternelle. La prochaine révolution sera mentale : elle consistera à imposer notre langue maternelle dans les médias et dans les enceintes censées être celles du peuple, comme l’assemblée.

Les hommes politiques qui croient bien faire en utilisant un arabe joliment construit mais sophistiqué, commettent une lourde erreur.

Le débat sur la problématique linguistique doit être ouvert, sans passion. La promotion de l’arabe tunisien est une nécessité absolue des temps modernes, elle ne signifie en aucun cas une attaque contre la langue arabe classique ou littéraire. Elle est dans l’intérêt de la Tunisie et des Tunisiens et s’imposera tôt ou tard.

Naceureddine Elafrite

A lire, l’excellent ouvrage de Fouad Laroui :


« Le drame linguistique marocain ». Ed Zellige.

Naceureddine Elafrite