Tunisie. Anonymous VS Ennahdha : Tempête dans un verre d’eau

 Tunisie. Anonymous VS Ennahdha : Tempête dans un verre d’eau

Un groupe affilié à la mouvance Anonymous a revendiqué en début de semaine le piratage de la boîte mail du Premier ministre tunisien Hamadi Jebali.


On l’appelle déjà le « Nahdhagate ». Chaque jour apporte son lot de révélations depuis qu’un groupe affilié à la mouvance Anonymous a revendiqué en début de semaine le piratage de la boîte mail de Hamadi Jebali, plus haut fait d’armes d’une série de cyberattaques contre la galaxie web islamiste tunisienne. Fidèle à elle-même, la franchise « Anonymous » verse en réalité davantage dans l’effet d’annonce stérile, voire contre-productif.  




 


Rappel des faits : Deux jours après l’incident de la profanation du drapeau le 7 mars dernier à la Manouba, une vidéo présentant la mise en scène habituelle des Anonymous prétend que ces derniers ont été alertés par leur branche tunisienne sur les divers méfaits des salafistes depuis la révolution.


« Les mails, comptes bancaires et transactions financières des salafistes seront épluchés et leurs disques durs copiés, si le gouvernement tunisien continue à ignorer leurs agissements », conclut le message menaçant. Le gouvernement n’ayant pas donné suite, c’est désormais Ennahdha en tant que parti au pouvoir qui est ciblé début avril.


Preuve vidéo à l’appui, ce sont pas moins de 2 725 courriers électroniques de son numéro 2 qui sont lâchés dans la nature par anonymous-tunisia.org. Les emails continuent à ce jour à être disséqués par les internautes. Il s’agit de l’adresse mail professionnelle de Jebali ([email protected]). Un « hashtag » est même créé sur twitter : #Jebalileaks regroupe les échanges relatifs au pseudo scandale.


 


Beaucoup de bruit pour rien ?


Qu’y découvre-t-on ? En vérité, pas grand-chose que l’on ne sache déjà. Dans une tribune en anglais sur la plateforme de blog nawaat.org titrée « #JebaliLeaks: For Ennahda, more good than harm done», Wafa Ben Hassine conclut à l’issue de ses fastidieuses recherches que l’affaire a globalement davantage bénéficié à Ennahdha qu’elle ne lui a nui.


Le parti en sort même grandi : tout au plus apprend-on qu’il jouit d’une certaine aura de respectabilité et de reconnaissance internationales, qu’il entretient des rapports privilégiés avec nombre d’organismes au Qatar, et plus généralement avec des organisations islamiques en Occident.


Quelques enseignements tout de même, comme le haut degré de sophistication de la communication du parti, la gestion stricte de son image, et l’élaboration méticuleuse de son agenda politique. Discipline, séminaires de formation continue pour ses cadres, stratégies de campagne, rien d’inhabituel en somme pour le plus grand parti du pays, mise à part la vitesse avec laquelle sa restructuration a eu lieu, après avoir été décimé par l’ex régime.


Au menu des révélations les plus croustillantes cela dit, quelques jours avant la nomination au Affaires étrangères de Rafik Abdesselam en décembre 2011, c’est Jebali qui soumet son CV à l’ambassade turque.


Peu avant la révolution, c’est Jebali lui-même qui soumet à la même adresse son propre CV. Depuis sa divulgation, il est devenu la tête de turque des réseaux sociaux, tant le document est écrit dans un français pour le moins approximatif. 


Rached Ghannouchi a, à son tour, été victime de tentatives d’intrusion, selon ce qu’il a annoncé lors d’une conférence de presse mardi.


Ameur Laârayedh, membre du bureau politique d’Ennahdha, a dénoncé des procédés immoraux, et a déclaré que certains documents étaient authentiques, mais que d’autres étaient des faux, fabriqués par Anonymous TN. C’est donc la parole de l’un contre la parole de l’autre. Anonymous se condamne à cela du fait même de ses méthodes.


 


Une aubaine politique


Hasard ou représailles ? Nous apprenons au cours de la même période que le gouvernement entend se pencher sur le cas de l’Agence Tunisienne de l’Internet. « Le gouvernement conservera l’ATI, mais elle sera restructurée », peut-on lire sur le programme du gouvernement présenté par le Premier ministre Hamadi Jebali devant l’Assemblée constituante le 5 avril dernier.


Invoquant le risque accru de cyber criminalité, le gouvernement y fait part de son intention de confier la sécurisation du net aux experts du ministère de l’Intérieur. Une façon peut-être de faire d’une pierre deux coups, en se débarrassant au passage du très rebelle Moez Chakchouk.


Nommé PDG de l’ATI par le gouvernement Mohamed Ghannouchi, le jeune directeur s’est jusqu’ici montré très indépendant, en combattant toute velléité de filtrage, allant même jusque résister aux juges qui lui demandaient le retour à la censure.


Ainsi les justiciers modernes aux masques d’adolescents « V For Vendetta » ont-ils doublement raté leur coup. Leurs méthodes cyber terroristes, rappelant celles du groupe Action directe dans les années 80, constituent une occasion en or pour un passage en force de la ligne dure sécuritaire au sein du gouvernement.


Le postulat d’Anonymous semble être celui d’une ère post idéologique où chacun peut s’emparer d’une franchise et s’autoproclamer chevalier blanc, défenseur de la veuve et de l’orphelin, en vous demandant de lui faire confiance sur parole quant au bienfondé de sa démarche.


Ethiquement, la mégalomanie en guise de succédané d’idéologie pose problème. C’est une dangereuse dérive, certes dans l’air du temps à l’heure où une génération de « geeks » se trouve face à une part d’illettrisme philosophique et une absence d’idéaux. En attendant de devenir plus humbles, nos anonymes apprentis sorciers seraient bien inspirés de grandir. 


Seif Soudani




 

Seif Soudani