Tunisie. Cyril Grislain Karray : « Le plus grand parti politique en Tunisie, c’est l’abstention »

 Tunisie. Cyril Grislain Karray : « Le plus grand parti politique en Tunisie, c’est l’abstention »

Cyril Grislain Karray s’est imposé depuis son retour au pays comme une figure publique incontournable de l’après-révolution. Photo LCDA.


Ancien Directeur associé au prestigieux cabinet d’études Mc Kinsey Paris, auteur d’un ouvrage succès de librairie, « La prochaine guerre en Tunisie : la victoire en 5 batailles », Cyril Grislain Karray s’est imposé depuis son retour au pays comme une figure publique incontournable de l’après-révolution. Aujourd’hui indépendant après avoir soutenu la liste Doustourna, il nous livre en exclusivité son regard critique et sans détours sur le bilan économique du gouvernement, la situation politique en Tunisie et les déboires de l’opposition.    




 


12 ans au Brésil, une expertise internationalement reconnue, et un rapport alarmant dès 2009 sur le chômage structurel en Tunisie ont permis à Cyril Grislain Karray de côtoyer les arcanes du pouvoir, lorsqu’il est appelé à la rescousse pour conseiller l’équipe des technocrates du gouvernement « Ghannouchi 2 » en 2011.


Partisan décomplexé du « tout économique », le Franco-Tunisien est un fervent défenseur de la relance en tant que panacée universelle, solution non seulement pour éradiquer la pauvreté mais aussi tous ses dérivés sociétaux.


Cependant, ceux qui suivent ses interventions médiatiques et son activité sur les réseaux sociaux auront remarqué que la politique au sens large et le monde des idées se sont comme imposés à lui plus récemment, faisant de lui l’une des personnalités les plus en vue de l’opposition moderniste.


S’il vient du monde des affaires et du conseil en macro-économie, l’homme réfute l’étiquette d’analyste financier, revendiquant une approche globale des problèmes.


 


« La loi des finances 2012 : du Ben Ali ajusté !»


L’observateur « ex insider » qu’il est donne un éclairage sans langue de bois sur la loi des finances 2012 et son complément budgétaire. Il en déplore le conformisme en temps révolutionnaire. Une fois au pouvoir, Ennahdha enfoncerait des portes ouvertes en la matière, même si quelques intentions sont selon lui louables, comme l’esprit de certains chapitres pariant sur les investissements.


Il n’épargne pas l’opposition pour autant, elle qui regarderait le doigt alors qu’on lui montre la lune, s’arrêtant selon lui « sur tel ou tel article », à l’image des experts comptables qui s’en prennent à la même loi aujourd’hui, alors que c’est dans son ensemble que le texte doit être lu.


Quoi qu’il en soit, il semble avoir désespéré de cette opposition il y a longtemps déjà, le problème étant une majorité silencieuse que la classe politique peine à mobiliser et que Karray appelle « le plus grand parti du pays », selon une expression consacrée.


Monétairement, la Banque Centrale Tunisienne a tiré la sonnette d’alarme plusieurs fois en deux mois (100 jours de réserves en devises). Quant à savoir si un risque pèse sur le versement des salaires à moyen terme, l’analyste répond que nous sommes « sauvés in extremis pour 2013 ».


Selon des témoignages concordants, la logique qui prévaut en ce moment en matière de justice transitionnelle, c’est celle consistant à proposer aux ex hommes d’affaires impliqués dans des malversations durant l’ère Ben Ali de se racheter une virginité, en investissant maintenant, sous le règne de la troïka. Est-ce la bonne méthode ? Karray reste là aussi dubitatif. « Chaque cas est un cas à part », affirme-t-il, tout en dénonçant les lenteurs que l’on constate aujourd’hui dans la divulgation des vols les plus significatifs. 


 


« Nous sommes bien partis pour échanger 6 contre une demi-douzaine… »


Le climat politique est-il assez sain pour une transition démocratique réussie avant et après les prochaines élections ? « Je ne vois de toute façon pas d’autre scénario possible que la continuité de la troïka au pouvoir », affirme Cyril Grislain Karray.


Quant à savoir si pour dépasser ses divisions, l’opposition doit rejoindre l’initiative d’Al Joumhouri ou celle de Béji Caïd Essebsi, il botte en touche, se rallier derrière un seul homme faisant partie pour lui des « méthodes du passé ».


L’homme n’a pas de mots assez durs pour une opposition qui doit impérativement tirer les conséquences de ses erreurs. « Cela inclut une sortie du paysage politique tunisien », assène-t-il enfin, davantage sur le ton du pragmatisme que celui de l’amertume.


Propos recueillis par Seif Soudani




 

Seif Soudani