Tunisie. 1er mai, mission accomplie pour l’UGTT

 Tunisie. 1er mai, mission accomplie pour l’UGTT

Quelques milliers de manifestants furent au rendez-vous pour ce 1er Mai


La fête du Travail en cette année 2012 en Tunisie était d’abord un test sécuritaire grandeur nature tant pour l’UGTT que pour le gouvernement de transition. Dans tous les esprits, c’était avant tout la première grande manifestation à l’Avenue Bourguiba depuis la levée de son interdiction aux manifestants peu après le 9 avril, date qui a révélé le phénomène des milices de rue. Si la marche n’a pas battu des records d’affluence, elle fut un succès malgré sa politisation. Un succès avant tout logistique. (Photo LCDA)




 


A l’heure où nous écrivons ces lignes, des Tunisiens célèbrent toujours le 1er mai fête du Travail en battant le pavé de l’Avenue Bourguiba, Avenue étroitement liée à la révolution tunisienne.


Trois marches distinctes avaient reçu l’aval du ministère de l’Intérieur pour sillonner les principales artères de la capitale : la principale, celle de L’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), celle de l’Union des Travailleurs Tunisiens (UTT), quasi inexistante Avenue Mohamed V, et celle de la Confédération Générale Tunisienne du Travail (CGTT).


Toutes se sont rejointes à midi, comme à la parade, au niveau de la grande horloge décorée pour l’occasion aux couleurs de la révolution la veille par des banderoles vite retirées car pas du goût de policiers qu’elles mettent en scène dans des méfaits d’avant le 14 janvier 2011.


Ce fut davantage un succès logistique que populaire : le très discipliné service d’ordre de 500 agents en rouge a su gérer les troupes de l’UGTT. Pas d’incidents notables avec les forces de l’ordre restées plutôt discrètes. Mais pas non plus la marée humaine escomptée. Quelques milliers, environ 10 000 manifestants, si l’on compte les différentes vagues aux différents points de rendez-vous.


 


Une fête plus politisée que jamais


Dès 9h00, nous nous rendons au fief syndicaliste de la Place Mohamed Ali, déjà noir de monde jusqu’aux ruelles exiguës environnantes.


Au QG de l’UGTT, ce qui frappe d’emblée ce sont les slogans ouvertement orientés anti Ennahdha des manifestants qui ponctuent les chants traditionnels festifs et l’hymne national. « Le peuple en a marre des nouveaux Trabelsi ! », « Ecrasons l’obscurantisme ! », ou encore « nahdhaoui rétrograde ! », pouvait-on entendre à des centaines de mètres à la ronde. « Pas très bon enfant tout ça », commentaient des passants pro pouvoir pour qui la manifestation ne célébrait pas vraiment le travail cette année.


Des syndicalistes français étaient cette année invités et se sont succédé pour haranguer la foule à la tribune installée au balcon. Parmi eux Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, Jean-Jacques Guignon, représentant de la CGT, et Michel Gay, secrétaire général de la CFDT. Tous ont loué le rôle de l’UGTT dans la libération du peuple tunisien.


Dans son discours qui a suivi celui des invités de prestige, Hassine Abassi, numéro 1 de l’UGTT, a voulu se montrer plutôt conciliant et a insisté sur le caractère trans politique du syndicat historique des travailleurs tunisiens, en consacrant l’idée de « l’intérêt supérieur de la nation ».


Avenue Bourguiba, la fête avait commencé avant l’heure. Dès le soir du lundi 30 avril, l’Avenue était en fête. Drapeau palestinien géant sur la façade du théâtre municipal pour marquer la visite de Mahmoud Abbas, des artistes ont entonné quelques hymnes associés au travail et à l’histoire de la gauche ouvrière.


Lorsque nous arrivons vers 10h au niveau du théâtre aujourd’hui, la foule est encore clairsemée et déjà des éléments pro gouvernements scandent des slogans de soutien à Jebali, perçus comme des provocations par les partisans de la gauche. A chaque fois, les deux camps se sont soigneusement évités.


Belgacem Ayari, numéro 2 de l’UGTT, avait promis une démonstration de force syndicale qui ne laissera aucun doute quant au rôle de contre-pouvoir de son syndicat, « régulateur de toute tentation despotique des pouvoirs quels qu’ils soient ».


Il faut dire que l’UGTT avait déjà accumulé plusieurs différends avec Ennahdha, parti au pouvoir, selon un classique schéma des bêtes noires extrême gauche – extrême droite. Au plus haut de la crise, une véritable guerre ouverte avait opposé le parti islamiste au syndicat de Farhat Hached en février dernier, sur fond de conflit entre leurs filières estudiantines respectives.


 


Un contexte politique extrêmement tendu


Ce 1er mai constituait un énorme défi sécuritaire pour le gouvernement Jebali, ministère de l’Intérieur en tête, accusé de verser dans le deux poids deux mesures s’agissant d’assurer la sécurité des islamistes d’un côté et celle des laïques de l’autre. Ali Laârayedh avait à cœur de se rattraper.


Le mot d’ordre au gouvernement était « l’unité » des Tunisiens. Comme en France, la droite et la gauche dans l’opposition se livrent une bataille des mots pour s’approprier l’idéal « travail ».


Soucieux de ne pas paraître une nouvelle fois en porte à faux d’une célébration nationale de grande ampleur, Ennahdha ne voulait pas être en reste d’une énième manif à succès. Un communiqué avait appelé dès la semaine dernière à rejoindre les rangs de la marche de l’UGTT.


La veille, dans son allocution à l’occasion du 1er mai, Hamadi Jebali avait employé un ton conciliant et de nombreuses références au Coran pour justifier l’importance accordée au travail en tant que valeur.


L’imam fondamentaliste Béchir Belhassen déclarait quant à lui : « Que ce soit pour célébrer ou pour semer l’anarchie, dans les deux cas le 1er mai est un péché et une invention occidentale ».


Plus insolite encore, les tensions les plus palpables étaient à recenser ce matin du côté des modernistes, mais dans leur propre camp : entre deux franges de l’ex PDP qui se livrent une guerre fratricide. Au milieu de la zone piétonne de l’Avenue Bourguiba, les jeunesses du PDP (qui ont conservé ce nom) narguaient le fraîchement créé Parti Républicain duquel ils venaient de se séparer dimanche.


« Un bien triste spectacle de la division », commentaient des Tunisiens que la politique repousse chaque jour un peu plus.


Seif Soudani


 


Reportage photo :


https://www.facebook.com/media/set/?set=a.446105662070057.115585.120372914643335


Reportage vidéo Avenue Bourguiba :


http://www.youtube.com/watch?v=fA2kJkqh4ZQ

Seif Soudani