#5 : Mokhtar : « Le handicap m’a appris à m’adapter à mon environnement. »

 #5 : Mokhtar : « Le handicap m’a appris à m’adapter à mon environnement. »


Le confinement nous a appris en quelques jours à nous situer dans un espace clos, à nous réapproprier notre univers mais aussi à redécouvrir la possibilité du silence en milieu urbain. Nos sens sont plus en éveil. Mais qu'en est il pour quelqu'un qui doit vivre le confinement avec un sens en moins ? Après un décollement de la rétine à l'âge de 10 ans, l'écrivain et journaliste radio, Mokhtar Bendjebbar a perdu la vue. Nous lui avons demandé de nous raconter ses journées en confinement.


Comment avez-vous perdu la vue ?


J'ai vu jusqu'à l'âge de 10 ans. Suite à  un décollement de rétine, j'ai subi des opérations chirurgicales pour être soigné mais hélas, ça n'a pas abouti. Tout dépend le stade où on détecte le décollement de rétine. Si c'est tard, comme dans mon cas, on devient alors déficient visuel. J'ai du commencer un nouveau cycle. J'ai quitté le monde des voyants. Je suis entré dans un institut spécialisé pour apprendre le braille.


Etes-vous aidé par rapport à votre handicap ?


J'ai appris à me débrouiller à un jeune âge, contrairement à des personnes qui apprennent ça sur le tard. J'ai acquis le braille et maintenant grâce à la synthèse vocale, je peux travailler beaucoup sur internet avec des recherches, etc… Les nouvelles technologies nous ont beaucoup aidé. Je suis indépendant et autonome. On m'a appris à tout faire (faire son lit, couper sa viande), la locomotion (à se déplacer). Je suis parti très tôt de chez mes parents grâce à tout ce que j'ai acquis dans cet institut.


Comment avez-vous perçu le confinement ?


Je ne suis pas spécialement quelqu'un de peureux ou inquiet de nature. Je suis plutôt optimiste. J'ai pris ça avec beaucoup de recul, de calme et de sérénité. Je vais peut-être choquer un peu les gens mais je vis plutôt bien le confinement. Je le vis comme une liberté. Cela permet de se recentrer sur soi-même. J'aime bien être chez moi. Le handicap m'a appris à m'adapter à mon environnement. J'ai quand même dû annuler des rendez-vous mais je continue à travailler par téléphone. Je lis beaucoup et je fais des choses que je n'avais pas le temps de faire.


Par rapport au confinement, avez-vous fait vos courses par Internet ou vous vous déplacez ?


Je fais mes courses moi-même. Je vais au magasin. En général, je fais d'une pierre deux coups. Je fais une sortie en général le soir pour la simple et bonne raison qu'il y a moins de monde. Ca évite le contact. Les magasins sont approvisionnés donc je refuse de faire des stocks. Mais aussi, j'en profite le soir pour faire de l'exercice physique. Ce qui est bien avec le confinement, c'est que lorsque je suis dehors, et vu que je travaille avec l'audition, j'arrive à me guider facilement. Paris est très calme. Il n'y a pas de bruit, de nuisances sonores. C'est relativement agréable pour moi. C'est d'ailleurs assez surprenant car on est habitué à Paris à avoir de l'effervescence. Paris est plus appréciable pour moi en ce moment !


Vous êtes habitués à beaucoup utiliser le toucher de part votre handicap. Avez-vous changé vos comportements du fait des mesures sanitaires ?


Je n'ai pas beaucoup changé mais je prends plus de précautions. Je ne mets pas de gants car j'ai besoin de toucher. J'essaie de toucher le moins possible avec mes mains. Mon expérience me permet de pouvoir éviter de toucher. Par exemple, je ne tiens plus les rampes des escaliers. On fait souvent les mêmes parcours. Dans un autobus, au lieu de tenir les barres, j'essaie de m'appuyer sur les parois ou les sièges, dans des endroits où les gens n'ont pas l'habitude de mettre les mains.


Qu'avez vous appris du confinement ?


J'essaie d'en apprendre plus sur moi-même, me rapprocher de personnes que j'avais perdu de vue. J'appelle par exemple mon secrétaire qui est une personne âgée pour avoir de ses nouvelles. J'ai aussi une voisine adorable qui m'a offert une baguette, il y a deux jours. Ca développe aussi d'autres solidarités, d'autres façons de concevoir la vie. Ca permet d'être plus ouvert, plus à l'écoute. Habituellement, on ne prend pas le temps de s'intéresser aux autres. Il y a aussi des petites animations comme les applaudissements à 20h00. Ca crée un contact différent avec les autres. C'est aussi le temps pour lire ou même relire certains livres que l'on a aimés. Ca peut être aussi une source d'inspiration et de méditation. 


Ressentez-vous plus de solidarité ou au contraire de la distance du fait du confinement ?


Je vais vous surprendre mais le Parisien qui est connu pour être distant et froid, est bizarrement plus solidaire avec moi en tous cas. Le handicap aide peut-être. Je suis plutôt ouvert de nature et ça facilite les choses. Les gens sont plus avenants, plus sympas avec moi en tous cas. Il faut aussi rester positif dans sa tête. On vit un moment particulier. Ca peut être éprouvant pour certains, inquiétant pour d'autres. Je le vis plutôt tranquillement. J'essaie d'être naturel et de rester moi-même.


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Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.